Action en contrefaçon et brevet essentiel à une norme

Brevet essentiel à une norme

La norme

Une norme (ou « standard ») est un référentiel publié par un organisme de normalisation ou un groupement d’organismes.

Nous pouvons citer, par exemple, l’IEEE (qui gère notamment les normes WIFI, réseaux, etc.), l’ETSI (qui gère notamment la norme GSM) ou encore la 3GPP (qui gère notamment les normes 3G, LTE, etc.)

Une norme décrit en détail le fonctionnement d’une technologie : elle détaille ainsi les fonctionnalités obligatoires ou optionnelles de la norme.

Le fonctionnement de la norme

En pratique, les industriels participent aux comités de normalisation et proposent de nouvelles méthodes et fonctionnalités à intégrer à cette dernière (ex. méthode de compression innovante, méthode de gestion des interférences, etc.).

Ces propositions sont alors discutées en comité et se retrouvent (ou non) dans la norme finale (ou tout du moins dans une de ses versions).

Bien entendu, la participation des industriels à ces comités n’est pas totalement désintéressée : le plus souvent, ces industriels possèdent des brevets qui couvrent les fonctionnalités qu’ils proposent.

Déclaration des droits de propriété industrielle

Le plus souvent (il est difficile de faire des généralités), les industriels participant à ces comités de normalisation ont l’obligation contractuelle de déclarer l’ensemble des droits de propriété industrielle qu’ils possèdent et qui sont essentiels à la mise en oeuvre d’une norme.

Par exemple, l’article 55 du règlement 3GPP indique :

Individual Members should declare at the earliest opportunity, any [Intellectual Property Rights] which they believe to be essential, or potentially essential, to any work ongoing within 3GPP. Declarations should be made by Individual Members to their respective Organizational Partners.

Le caractère essentiel

Un brevet est essentiel à une norme s’il est impossible de mettre en œuvre la norme sans contrefaire le brevet.

Imaginons le cas où (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 16 avril 2019, RG n° 15/17037) la revendication prévoit un procédé permettant de sélectionner une station de base dans un système de communication mobile comprenant :

  • identifier une mauvaise connexion radio entre une seconde station de base et un terminal multimode ;
  • sélectionner l’une des premières stations de base en fonction de la mesure d’au moins un signal de station de base dans le terminal multimode.

Supposons maintenant que la norme prévoit que si une connexion radio présentant une qualité inférieure à un seuil est identifiée, une étape de mesure comme revendiquée doit être effectuée.

L’étape d’identification de la revendication n’est pas prévue par la norme, dès lors, il est possible de d’implémenter la norme, sans contrefaire le brevet.

La rémunération des industriels

En fonction des organismes de normalisation et en fonction des normes, la rémunération des industriels peut varier :

  • soit les personnes souhaitant mettre en oeuvre une norme contactent directement les industriels individuellement afin d’obtenir une licence sur leurs droits de propriété industrielle,
  • soit ces personnes contactent l’organisme de normalisation afin de leur verser une licence, l’organisme de normalisation ayant alors la charge de répartir cette licence entre ses membres (le plus souvent en fonction du nombre de titres de propriété industrielle).

Principe des conditions dites « FRAND »

Certaines normes (de plus en plus) imposent aux industriels participant à la norme l’obligation d’accorder des licences sur leurs droits de propriété industrielle couvrant la norme aux conditions dites « FRAND » .

Cela signifie que la licence doit être :

  • Fair : la licence ne doit pas comporter des termes limitant indûment la concurrence ;
  • Reasonnable : le prix de la licence ne doit pas être prohibitif au regard de l’avantage que procurent les inventions couvert par les droits de propriété industrielle ;
  • Non-Discriminatory : il n’est pas possible de refuser d’accorder une licence à un tiers en particulier, même un concurrent direct.

Action en contrefaçon

Principe

Les industriels participant à la norme possédant des droits de propriété industrielle, nous pouvons légitimement penser que ceux-ci peuvent introduire des actions en contrefaçon à l’encontre des personnes mettant en oeuvre la norme, sans prendre une licence.

Mais est-ce aussi simple ?

Abus de position dominante ?

En effet, dans une affaire de 2015, la société ZTE a soutenu que l’action en contrefaçon introduite par la société Huawei Technologies constituait un abus de position dominante de sa part, car les demandes de Huawei Technologies étaient disproportionnées face à un tiers (ZTE) disposé à payer une licence, mais qui n’arrivait pas à trouver un accord avec le titulaire des droits.

La société ZTE soutenait que le comportement de Huawei Technologies était contraire à l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne :

Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence

d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

Conditions fixées par la jurisprudence

La CJUE a eu à analyser cet article au regard du conflit ZTE-Huawei.

Dans son arrêt du 16 juillet 2015, la CJUE a distingué deux types d’action en contrefaçon :

  1. Les actions en cessation de l’atteinte ou en rappel de produits
  2. Les actions tendant à l’obtention de données comptables et de dommages-intérêts

Concernant le point 1, il n’y a pas d’abus de position dominante si, cumulativement :

  • préalablement à l’introduction de l’action, le breveté a,
    • averti le contrefacteur allégué qu’une de ses actions était potentiellement contrefaisante en désignant le droit de PI concerné et en précisant la façon dont celui-ci est violé, et,
    • transmis à ce contrefacteur, après que ce dernier a exprimé sa volonté de conclure un contrat de licence aux conditions FRAND, une offre de licence précisant notamment la redevance et ses modalités de calcul ;
  • le contrefacteur allégué continuant à exploiter le droit de PI n’a pas donné suite à cette offre avec diligence, « conformément aux usages commerciaux reconnus en la matière et de bonne foi », ce qui doit être déterminé sur la base d’éléments objectifs et implique notamment l’absence de toute tactique dilatoire.

Bref, vous l’aurez compris, il y a quand même beaucoup de subjectif…

Concernant le point 2, la CJUE considère qu’il n’y a pas d’abus de position dominante sous toute hypothèse, la demande d’information comptable et la demande de dommages et intérêts n’ayant pas d’impact direct sur la concurrence au sens commercial.

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