Substitution du brevet français par le brevet européen

Le brevet français cesse de produire ses effets

Principe

L’article L614-13 CPI pose le principe de la substitution du brevet français par un brevet européen visant la même invention :

Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l’opposition au brevet européen est expiré sans qu’une opposition ait été formée, soit à la date à laquelle la procédure d’opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu.
[… ]
L’extinction ou l’annulation ultérieure du brevet européen n’affecte pas les dispositions prévues au présent article.

Conditions

Ainsi, les conditions pour qu’une substitution s’opère sont au nombre de cinq :

  • un brevet français a été délivré ;
  • un brevet européen a été délivré ;
  • le brevet européen couvre la même invention que le brevet français ;
  • l’inventeur ou son ayant droit est le même ;
  • les deux brevets partagent la même date de dépôt (même si aucune revendication de priorité n’est effectuée).

Date d’effet

Si les conditions précédentes sont réunies, le brevet français cesse de produire ses effets :

  • si aucune opposition n’est formée :
  • si une opposition est formée :
    • à la fin des délais de recours sur opposition (i.e. 2 mois (A108 CBE) à compter de la signification par écrit de la décision (R111(1) CBE)) si aucun recours n’est formé ;
    • à la date de la décision de recours (A111(1) CBE) si un recours est formé.

Problématique de la désignation de la France

Nous pourrions nous demander si le retrait de la France comme désignation d’une demande de brevet européen à un effet sur cette substitution.

J’aurais tendance à dire que non : en effet, l’article L614-13 CPI est totalement silencieux quant à la désignation de la France ou non.

C’est assez idiot, mais c’est comme cela …

Problématique de la portée des revendications

Revendications EP = revendications FR

Ici, il n’existe pas de difficulté…

Le brevet français disparait tout bonnement !

Revendications EP > revendications FR

Si les revendications européennes sont plus larges, les juges sont également d’avis que le brevet français cesse de produire ses effets (Cour d’appel de Paris, 4 novembre 2014).

Bien que, stricto sensu, les deux brevets ne visent pas exactement la même invention, l’approche des juges est compréhensible vu que le brevet européen permet de couvrir un objet également couvert par le brevet français.

Revendications EP < revendications FR

Si les revendications européennes sont moins larges, la Cour de Cassation a indiqué que le brevet français cessait également de produire ses effets (C. Cass. com., 7 janvier 2014, n°12-28883).

En réalité, cela est fort discutable (et je ne suis même pas certains que les magistrats ont vu que la portée avait été restreinte dans le cas d’espèce).

En effet, la doctrine penche plutôt pour un maintien en vigueur du titre français, mais dans la mesure seulement où l’objet n’est pas couvert pas le brevet européen (i.e. une sorte de gruyère en quelque sorte).

Dans une autre affaire, les juges ont bien vu que le brevet européen avait été limité (i.e. combinaison des revendications 1+2+4) mais ils ont décidé qu’il y avait bien substitution (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 30 juin 2015) : encore une fois, cela est discutable, mais ici plus encore. En effet, dans ce cas d’espèce le « brevet » français FR 09 50127 n’avait même pas été délivré : la demande de brevet a été rejetée avant délivrance (i.e. en contradiction avec la formulation de L614-13 CPI qui demande l’existence d’un brevet français et non d’une simple demande).

Problématique de la déchéance du brevet européen

Position du problème

Il peut arriver qu’un titulaire abandonne son brevet européen par non-paiement d’une annuité française juste après la délivrance (le titulaire peut chercher à maintenir son brevet dans d’autre pays).

Du fait de la validation automatique en France des brevets européens, il se pose la question de savoir à partir de quand le brevet européen cesse de produire ses effets en France, afin de vérifier qu’à la date de la substitution éventuelle le brevet européen n’existe bien plus (et ainsi éviter cette substitution automatique).

Plusieurs dates seraient envisageables pour cette disparition du brevet européen suite au non-paiement d’une annuité :

  • la date de paiement normale de l’annuité ;
  • la date de paiement du délai de grâce de l’annuité ;
  • la date de la décision du directeur de l’INPI constatant la déchéance de la partie française du brevet européen.

La solution de la Cour de Cassation

Les magistrats de la haute Cour ont tranché : un brevet cesse de produire ses effets suite au non-paiement d’une annuité à partir de la date de la décision du directeur de l’INPI constatant la déchéance (C. Cass. com., 18 octobre 2011, n°10-24326).

Cette décision n’est donc pas une simple constatation d’un fait antérieurement acquis mais produit bien un effet juridique.

4 commentaires :

  1. Peut-on envisager un retrait de désignation FR avant la délivrance du brevet européen pour éviter le cumul de protection et donc la cessation des effets du brevet français ? Je ne trouve pas de décision en ce sens concernant explicitement L. 614-13 CPI…

  2. Dans le cas du jugement de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 30 juin 2015 (section 2.5), la cour a considéré que la contraction des revendications d’un brevet de 13 pour le brevet français à 10 pour le brevet européen, probablement dans le but d’éviter d’avoir à payer la redevance pour les revendications au delà de le 10éme, les revendications ayant le même contenu substantiel et étant basées sur une description identique terme à terme schéma inclus ne constituait pas une limitation du brevet français, les revendications devant se comprendre en référence à la description.

    De plus contrairement à ce que vous dites, la demande de brevet français déposée le 12 janvier 2009 sous le numéro FR0950127 a bien été délivrée le 16 juillet 2010 sous le numéro FR2941081. Puis un demande d’extension à l’Europe sera demandée le 11 janvier 2010 sous priorité du brevet français et publiée le 19 octobre 2011 sous le numéro EP2207154, ce dernier se substituant alors au brevet français.

    Il faut aussi remarquer que les parties appelantes dans cette affaire se sont retranchées derrière cette substitution revendiquée par elles même, afin de justifier d’avoir laissé déchoir le brevet français qui avait fait l’objet d’une procédure en première instance.

    Dans ce cas, l’affaire que vous utilisez pour illustrer votre propos ne me semble pas adaptée.

    • Bonjour,

      J’avoue être un peu destabilisé …

      Vous semblez bien connaitre le dossier mais certains points m’interpellent – j’y réponds donc en vrac :

      • « la demande de brevet français déposée le 12 janvier 2009 sous le numéro FR0950127 a bien été délivrée le 16 juillet 2010 sous le numéro FR2941081 » : ce n’est pas la délivrance mais la date de publication que vous évoquez.
      • « probablement dans le but d’éviter d’avoir à payer la redevance pour les revendications au delà de le 10éme » : en Europe, c’est à partir de la 15e donc cela ne tient pas …
      • « les revendications ayant le même contenu substantiel et étant basées sur une description identique terme à terme schéma inclus ne constituait pas une limitation du brevet français, les revendications devant se comprendre en référence à la description » : le fait que la description et les dessins soient identiques ne veut pas dire que la portée est la même (voir le mécanisme des divisionnaires)
      • « ce dernier se substituant alors au brevet français » : non la substitution n’intervient pas à ce stade (cf. l’article)
      • « Il faut aussi remarquer que les parties appelantes dans cette affaire se sont retranchées derrière cette substitution revendiquée par elles même, afin de justifier d’avoir laissé déchoir le brevet français » : les parties disent bien ce qu’elles veulent…

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