Action en nullité et exception de nullité

Table des matières
2. L’action en nullité

Différence entre action en nullité et exception de nullité

Avant de rentrer dans le vif du sujet, regardons un point de procédure civile qui sera utile pour la suite.

L’action (ici, en nullité) est une procédure engagée devant une juridiction pour obtenir le respect ou la reconnaissance d’un droit ou d’un intérêt légitime (ici, la reconnaissance que le brevet est nul). 

Une exception de nullité est, en droit, un argument que l’on soulève avant même d’évoquer le fond de l’affaire, et qui tend à voir annuler une pièce de la procédure ou, éventuellement, l’ensemble de la procédure, en raison de la violation par l’une des parties d’une disposition essentielle du droit (ici dans le cas qui nous intéresse, l’existence du brevet). En cas d’admission de l’exception de nullité, la pièce (ici le brevet) est retirée des débats et ne peut plus fonder le jugement.

Vous ne voyiez toujours pas la différence ?

Alors, voici l’explication « non-juridique » que je donne quelque fois :

  • une exception de nullité est une sorte de joker :
    • « Stop, monsieur le juge, car le méchant breveté n’a en réalité pas de brevet puisque ce dernier est nul » ;
    • Ce n’est pas une demande, mais un constat qui va rendre l’action en contrefaçon sans objet ;
    • Aucune décision quant à la nullité du brevet ne sera rendu mais une décision constatera l’absence de fondement à l’action en contrefaçon ;
  • une action reconventionnelle en nullité est une vrai demande :
    • « Monsieur le juge, je demande qu’avant de me déclarer responsable de contrefaçon, vous constatiez que son brevet est nul » ;
    • Cette demande de nullité va rendre l’action en contrefaçon également sans objet,
    • Une décision quant à la nullité du brevet sera rendu.

Cela peut vous sembler un détail … mais concernant la prescription, vous verrez que cela change tout (enfin probablement plus depuis la loi Pacte mais passons).

L’action en nullité

À titre principal

Principe

L’action en nullité introduite à titre principale (53 CPC) cherche à obtenir la nullité d’un brevet alors qu’aucune autre action civile n’est en instance (L613-25 CPI pour les brevets français et L614-12 CPI pour les brevets européens).

Tribunaux compétents

Principe

Seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent pour connaitre des actions en nullité (L615-17 CPI ensemble D211-6 CPI).

La Cour d’appel de Paris est compétente en appel (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 20 juin 2012).

Précision quant à la compétence des cours d’appel depuis le 1e novembre 2009

L’application du décret de 2009 attribuant une compétence exclusive au TGI de Paris en matière de brevet a suscité des interrogations pour déterminer la cour d’appel compétente en cas d’appel d’un jugement rendu par un TGI de province saisi avant le 1e novembre 2009.

Pour la Cour de cassation (C. Cass. com., 3 mars 2015, n°14-10568), rien n’est indiqué dans le décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009 concernant une compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris : seule la compétence du TGI de Paris est reconnue pour les brevets.

Dès lors, il convient d’appliquer les principes généraux de l’article R311-3 du code de l’organisation judiciaire selon lequel la Cour d’appel est compétente pour connaitre des décisions des Tribunaux de Grande Instance situés dans son ressort.

L’intérêt et la qualité à agir

La nullité d’un brevet peut être demandée par toute personne ayant un intérêt direct et personnel à agir (31 CPC).

On dit souvent que l’intérêt à agir doit être personnel et direct, légitime, né et actuel.

Actions banales
Principe

Dans la majorité des actions en nullité, on dit que l’action est banale, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de condition(s) quant à la qualité à agir : toute personne ayant un intérêt direct et personnel à agir peut introduire l’action (31 CPC).

Voici quelques exemples d’intérêt à agir.

Une mise en demeure / menace de la part du breveté

L’intérêt à agir peut être une mise en demeure ou une menace d’action en contrefaçon de la part du titulaire (Tribunal civil de Seine, 11 août 1864, ou en matière de marque Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch. 1re sect., 19 septembre 2013).

La personne menacée / mise en demeure peut alors demander la nullité du brevet opposé.

Le brevet gêne un concurrent

Le brevet peut véritablement gêner un concurrent, car une commercialisation en France serait susceptible d’être entravée par le brevet (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 11 janvier 2012).

Historiquement, l’intérêt à agir pouvait se justifier par (Cour d’appel de Paris, 4e ch., sect. B, 13 mai 2005) le fait d’avoir une société dont l’objet social :

  • proche de l’objet social du breveté ;
  • proche du dispositif breveté.

Aujourd’hui, les magistrats semblent en demander plus : il faut démontrer l’existence d’actes préparatoires ou de projets sérieux de mise en œuvre d’une technique proche des brevets contestés (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 6 mars 2013).

Le fait que le demandeur cherche à libérer une exploitation prochaine de la technique brevetée ou d’une technique ressemblante (Cour d’appel de Paris , Pôle 5, 1re ch., 9 avril 2019, RG n° 17/08631).

Néanmoins, un tiers fabriquant un produit B coopérant avec le produit A ne dispose d’aucun intérêt à agir pour une action en nullité du produit A qu’il ne fabrique pas : la théorie du tout commercial ne peut justifier cet intérêt (Tribunal de Grande Instance de Paris, 5 juin 2014).

Le brevet gêne l’ancien breveté ?

Il peut arriver que le brevet ait fait l’objet d’une cession, mais que le cédant souhaite continuer à exploiter l’invention.

S’il se retrouve dans la situation d’un concurrent gêné par le brevet, on peut se demander si les conclusions de la section précédente sont applicables.

La réponse est non !

En effet, le cédant doit au cessionnaire la garantie d’éviction de son fait personnel, garantie d’ordre public (1628 Code civil).

Dès lors, il ne pourra pas demander la nullité du brevet à titre principal (en matière de marque, Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 9 avril 2014).

Le licencié ne souhaite plus payer de redevances

Un licencié a toujours intérêt à demander la nullité du brevet pour réclamer ensuite la nullité de son contrat de licence pour défaut d’objet (C. Cass. com., 17 mars 1980, n°78-14361).

Le licencié souhaite voir disparaitre les clauses de propriété des améliorations

Un contrat de licence peut prévoir que les améliorations d’un brevet, imaginées par le licencié, doivent être communiquées au breveté, ce dernier se réservant le droit de déposer en son propre nom ces améliorations.

Le licencié, souhaitant conserver la titularité de ces améliorations, a ainsi intérêt à invoquer la nullité du brevet initial, pour faire annuler en cascade ces clauses de propriété (C. Cass. com., 8 juillet 1997, n°95-17589).

L’impact du brevet sur le prix d’un produit

Il serait tout à fait envisageable qu’un consommateur puisse demander la nullité d’un brevet s’il considère que le brevet a un impact négatif sur le prix du produit breveté.

Encore faudra-t-il prouver :

  • que le brevet a un impact négatif sur les prix (ce qui peut être complexe) et
  • que le produit est bien susceptible d’être acheté par le demandeur.

Néanmoins, aucun juge n’a eu encore à se prononcer sur cette situation… Cette situation n’a été envisagée que par la doctrine.

Le refus de payer des indemnités à un copropriétaire non exploitant

Le fait de refuser de payer des indemnités à un copropriétaire non exploitant (de l’article L613-29 CPI) semble être un intérêt à agir suffisant.

Il faut souligner des décisions contraires (Cour d’appel de Paris, 4e ch., sect. B., 19 décembre 2003) mais la conclusion semble contestable. En l’espèce, la Cour d’appel avait considéré que le fait d’avoir considéré un brevet valable pendant aussi longtemps valait renonciation à toute action en nullité : si on suivait le raisonnement des juges, cela vaudrait alors également pour le licencié. De plus, cela vient à dire que le demandeur ne peut pas changer d’avis…

Intérêt à agir pour le breveté lui-même

Si le breveté a acheté le brevet à un tiers (i.e. il est le cessionnaire), il peut vouloir faire annuler la vente pour récupérer son argent : il a alors bien un intérêt à agir (C. Cass. com., 8 juillet 1981, n°79-15844 ou Cour d’appel de Paris, 4e ch. sect. A, 19 octobre 2005).

L’action en nullité pourrait être vue comme une « action en vérification de l’objet du contrat de cession » .

Néanmoins, la connaissance antérieure à la cession par le cessionnaire du vice rend irrecevable la demande de nullité (C. Cass. req., 9 novembre 1864, Ann. prop. ind. 1864, p377).

Le dépôt d’une demande par une personne non habilitée

Le fait qu’une demande de brevet européen ait été déposée par une personne non habilitée peut permettre de demander la nullité du brevet associé (A138(1) e) CBE).

Néanmoins, seule la personne qui se prétend être la véritable personne habilitée à déposer la demande de brevet peut introduire l’action en nullité (c’est une nullité relative, C. Cass. com, 14 février 2012 n°11-14288).

Focus sur les brevets « médicaments »

Pour les brevets de « médicaments » , il n’est pas nécessaire d’avoir obtenu une AMM ou toute autre autorisation administrative pour justifier d’un intérêt à agir (Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 4e sect. 30 septembre 2010).

Actions attitrées
Ministère public

Le code de la propriété intellectuelle ne prévoit qu’un unique cas où l’action est attitrée, c’est-à-dire ouverte nommément à une personne : le ministère public (L613-26 CPI).

Il n’est pas nécessaire de démontrer un quelconque intérêt à agir : le ministère public agit donc par simple opportunité.

Un syndicat

Un syndicat peut demander la nullité d’un brevet, car la loi leur permet d’agir pour défendre les intérêts collectifs de la profession qu’ils représentent (L2132-3 Code du travail).

Une association

Une association peut agir en nullité d’un brevet, car elle peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social (L421-1-1 Code de la consommation ou C. Cass 1re civ., 18 septembre 2008, n°06-22038).

L’abus

Il peut arriver que l’introduction de l’action en nullité soit perçue comme un abus de la part du demandeur (ex. celui-ci cherche à nuire à l’image du breveté, à contourner l’autorité de la chose jugée dans une autre instance, etc. Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch., 1re sect., 5 juin 2014).

Dans cette hypothèse, le demandeur s’expose au versement de dommages et intérêts substantiels (Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch., 1re sect., 5 juin 2014).

À titre reconventionnelle

Principe

L’action reconventionnelle (64 CPC) en nullité est l’action visant, lorsque l’on est poursuivi en contrefaçon, à demander la nullité des brevets servant de base à l’action en contrefaçon.

La qualité et l’intérêt à agir

Lorsque l’action principale est une action en contrefaçon

Lorsque l’action principale est une action en contrefaçon, l’intérêt à agir pour introduire une action reconventionnelle en nullité est évident : le défendeur cherche à couper court à toute discussion relative à la contrefaçon.

L’exigence de « lien suffisant » de l’article 70 CPC est alors rempli.

Pour autant, la demande reconventionnelle ne doit viser que :

Lorsque l’action principale est une action en exécution d’un contrat de licence

Lorsque l’action principale est une action en exécution d’un contrat de licence, l’intérêt à agir de l’action reconventionnelle est alors justifié puisque cette dernière action tend à rejeter la demande de l’adversaire en supprimant l’objet du contrat.

L’exigence de « lien suffisant » de l’article 70 CPC est alors rempli.

Lorsque l’action principale est une action relative à la titularité du brevet

Lorsque l’action principale est une action relative à la titularité du brevet, il ne sera pas possible d’introduire une action reconventionnelle en nullité (C. Cass. com., 19 novembre 1963).

En effet, les questions de validité du titre et de « légitime propriété » du titre sont des sujets bien distincts.

Intervention forcée du titulaire ?

Dans l’hypothèse où le licencié exclusif introduit une action en contrefaçon, le titulaire du brevet n’est pas parti à l’instance.

Dès lors, l’action reconventionnelle en nullité devra être dirigée contre le titulaire du brevet, en intervention forcée (331 CPC), pour que le breveté soit à même de défendre ses droits : à défaut d’intervention du titulaire (forcée ou volontaire), la demande reconventionnelle sera irrecevable.

Tribunaux compétents

En matière civile

Cette question peut sembler superflue, car l’on pourrait penser que le tribunal compétent est celui de l’action principale.

Néanmoins, que ce passe-t-il si un contentieux relatif à un contrat de licence survient entre deux professionnels (compétence du tribunal de commerce) et qu’incidemment, la question de la validité du brevet est évoquée…

Pour la Cour de cassation, dès lors qu’une question relative à un brevet est posée, seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent (C. Cass. com., 21 janvier 2004, n°02-16958, voir L615-17 CPI ensemble D211-6 CPI) et il n’est pas possible d’y déroger.

La Cour d’appel de Paris est compétente en appel (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 20 juin 2012).

En matière pénale

Si l’article 52 de la loi du 3 janvier 1968 sur le brevet d’invention prévoyait initialement que les questions de nullités soient tranchées par le juge civil, cela n’est plus le cas.

Aujourd’hui, le tribunal correctionnel saisi d’une action en contrefaçon n’a pas à renvoyer le litige devant la juridiction spéciale de l’article L615-17 CPI s’il est également saisi d’une action reconventionnelle en nullité (cet article ne traitant que des aspects civils, par analogie en marque C. Cass. crim., 19 juin 2013, n°12-84533) : le tribunal correctionnel peut très bien connaitre de l’action en nullité dirigée contre le brevet.

Défenseur à l’action

Le défenseur à l’action est le titulaire du brevet.

Si une cession a eu lieu, il convient de diriger l’action contre le cessionnaire : l’action dirigée contre le cédant doit être déclarée irrecevable (Cour d’appel de Paris, 4e ch., sect. B, 13 mai 2005).

Si la cession n’a pas encore été publiée, l’action pourra être déclarée irrecevable (mais cette irrecevabilité vous guidera vers le nouveau titulaire). Dans le cadre d’une action reconventionnelle en nullité, il devrait y avoir moins de difficulté puisque le demandeur à l’action en contrefaçon communique, normalement, la chaine des droits.

Nullité du brevet et/ou d’une demande de brevet

Brevet en instance

Ce point ne pose pas vraiment de problème puisque l’article L613-25 CPI (pour les brevets français et de l’article L614-12 CPI pour les brevets européens) mentionne explicitement qu’une action en nullité peut être dirigée vers un brevet.

Brevet expiré ou déchu

Il semble tout à fait possible d’agir en nullité contre un titre déjà expiré.

En effet, du fait de la rétroactivité de la nullité (contrairement à la déchéance ou à l’expiration), le demandeur peut avoir intérêt à obtenir la nullité du brevet :

Demande de brevet

Si, de prime abord, il me semble qu’une action en nullité ne peut être dirigée que vers un brevet (au regard de la lettre de l’article L613-25 CPI pour les brevets français et de l’article L614-12 CPI pour les brevets européens), il semblerait inéquitable qu’une personne puisse introduire une action en contrefaçon sur la base d’une demande (L615-4 CPI) sans que le défendeur puisse lui opposer la nullité de la demande.

Les juges ont ainsi parfois accueilli l’action en nullité dirigée contre une demande de brevet (Tribunal de Grande Instance de Paris, ch. 03 sect. 02, 5 octobre 2001 ou Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 3e sect., 16 novembre 2005) ou l’ont parfois rejetée (Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 2e sect., 20 octobre 2005).

Bref la situation est incertaine…

Limitation du brevet en cours d’instance

Je vous renvoie à l’article concernant la limitation en France.

Prescription de l’action en nullité

Avant le 23 mai 2019

Principe et délai

Comme toute action en justice, il faut se poser la question de la prescription de l’action.

En effet, l’article 122 CPC dispose :

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tels le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Avant le 19 juin 2008, la prescription de droit commun de 30 ans s’appliquait (2262 du Code civil, ce qui revenait de fait à une absence de prescription compte tenu de la durée de validité de 20 ans du brevet).

La prescription a néanmoins été changée depuis la loi n°2008-561 du 17 juin 2008. Depuis la prescription de droit commun est de 5 ans (2224 du Code civil).

Point de départ

Du fait de la rédaction de l’article 2224 du Code civil, le point de départ ne semble pas être le dépôt de la demande de brevet, car à cette date la demande est secrète.

Certains pensent que le point de départ du délai serait la date de publication de la demande (Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2013 ou Cour d’Appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 8 novembre 2016, RG n°2014/15008).

Il serait beaucoup plus logique de considérer que la prescription de l’action court à compter de la date de publication de la délivrance du brevet (Tribunal de Grande Instance de Paris, 13 mars 2015, 3e ch., 3e sect., RG n°2013/09605) ou Cour d’appel de Paris, pôle 5 chambre 2, 22 septembre 2017): c’est à cette date que les tiers sont avertis de l’existence d’un véritable titre de propriété industrielle « définitif » .

Certains ont même considéré que la prescription de l’action ne courrait qu’à compter du moment où celui qui agit en nullité a eu effectivement connaissance du titre qui lui est opposé (Tribunal de Grande Instance de Paris, 6 novembre 2014, 3e ch., 1re sect., RG n°2013/14239 ou Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 3e sect., 18 décembre 2015, RG n°2014/04698).

Je vous laisse donc vous débrouiller…

Délai de prescription ne courant pas ?

Il est possible de se demander si dans certains cas le délai de prescription ne commence pas à courir.

A mon sens, si le demandeur à l’action en nullité est un mineur (ou un majeur sous tutelle), l’article 2235 du code civil commande de ne pas faire courir le délai de prescription (ou le suspend).

Cette disposition met fait penser immédiatement à un autre cas plus intéressant : qu’en est-il d’une société qui n’est pas encore formée ? Personnellement, je trouverai cela logique que la prescription ne court pas tant que la société n’est pas formée (car elle ne peut pas agir avant), mais il faut bien reconnaître que rien n’est prévue par la loi (ou tout du moins que je connaisse).

Nouveau point de départ en cas de limitation ?

En cas de limitation, il semble raisonnable de penser qu’un nouveau délai de prescription recommence à courir.

Modifications contractuelles du délai de prescription

Il est a priori envisageable qu’un contrat de licence modifie, dans une fenêtre comprise entre 1 et 10 ans, le délai de prescription (2254 du Code civil).

Ce nouveau délai ne sera applicable qu’entre les parties au contrat de licence.

Cas particulier de l’action reconventionnelle

L’action reconventionnelle est concernée par la prescription, tout comme comme à l’action principale (voir supra).

La prescription de l’action reconventionnelle n’est pas suspendue par l’introduction de l’action principale : la prescription n’est suspendue qu’à la date du dépôt de la demande reconventionnelle au greffe (C. Cass. 2e civ. 26 novembre 1998, n°96-12262).

Prescription invoquée au stade de l’appel

La prescription peut être invoquée en première instance, mais aussi, au stade de l’appel (2248 Code civil).

A compter du 23 mai 2019

Principe

Depuis la loi PACTE, nous pouvons dire que c’est plus simple (ou pas…).

En effet, l’article 124 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (ou loi PACTE pour les intimes), prévoit que l’action en nullité est maintenant imprescriptible.

Cette disposition est retranscrite à l’article L615-8-1 CPI.

Dispositions transitoires

La disposition transitoire (article 124, III de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) prévoit que cette imprescriptibilité s’applique à tous les brevets en vigueur sauf concernant les décisions ayant force de chose jugée.

Tout d’abord, il est dommage d’avoir exclu les titres qui ne sont pas en vigueur puisqu’une action en contrefaçon peut être initiée sur la base d’un titre expiré, pour autant que la prescription de cette action n’est pas acquise.

Débat sur la rétroactivité

Une fois les dispositions transitoires énoncées, nous pouvons nous demander si cette formulation indique qu’une prescription déjà acquise est rétroactivement annulée ?

Formellement, la disposition transitoire ne dit pas : « pour les brevets en vigueur et même si la prescription est acquise ».

Dès lors, cette disposition remet-elle en question les prescriptions déjà acquises ?

En effet, certains pourraient se fonder sur l’article 2222 du code civil qui prévoit que « La loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise ».

Néanmoins, il ne faut pas oublier que la cour de cassation accepte le fait qu’une loi prévoit une rétroactivité de ses dispositions : elle exige alors que cette loi soit explicite concernant cette rétroactivité.

Le plus souvent cette rétroactivité est justifiée par des impératifs d’intérêt général (Cour de Cassation, 1re Civ., 18 juin 2014, pourvoi no 13-13471) car même une rétroactivité explicite peut être écartée par la cour de cassation si la justification ne semble pas suffisante (Cour de cassation, Soc., 21 mars 2012, pourvoi no 04-47532).

A mon sens, la rétroactivité doit s’appliquer ici car il n’y a pas d’autres façon d’interpréter la disposition transitoire.

En effet, à supposer que cette disposition ne prévoit pas de rétroactivité, alors que signifie-t-elle ? Que cela s’applique uniquement pour l’avenir (puisque cela ne vise que les titres en vigueur à la date de publication de la loi) ? Dès lors pourquoi avoir fait une disposition transitoire si, en réalité, les principes généraux du droit dans le temps devait prévaloir ?

Pourquoi avoir ajouté « Ils sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée » : s’il n’y a pas de rétroactivité, une telle précision n’a aucun sens puisque ces décisions appartiennent au passé. La seule explication de cette phrase est (de mon point de vue) de venir expliquer qu’une décision judiciaire ayant reconnu la prescription de l’action en nullité ne peut être remise en cause du fait de la rétroactivité prévue par les dispositions transitoires.

En conclusion, si les dispositions transitoires ne contiennent pas le mot « rétroactif », il n’existe pas d’autres interprétations raisonnables et une telle rétroactivité doit être reconnue.

… Par ailleurs, cela nous simplifie grandement la vie car la situation précédente était vraiment trop complexe…

Objet de l’annulation

Principe

Le brevet peut être annulé en totalité ou en partie (L613-27 CPI, alinéa 3).

Annulation totale du brevet

En cas d’annulation de toutes les revendications d’un brevet, le brevet est annulé et est réputé n’avoir jamais existé (voir ci-dessous pour les effets).

Si l’annulation totale des revendications ne pose pas de problème majeur, l’annulation partielle demande plus de développement.

Annulation partielle du brevet

En réalité, la terminologie peut couvrir deux notions distinctes :

  • certaines revendications sont annulées tandis que d’autres sont maintenues en l’état ;
  • certaines revendications sont modifiées (leur portée est limitée) par le juge via un renvoi devant l’INPI (L613-27 CPI, alinéa 3).
Annulation de certaines revendications
Sort d’une revendication indépendante lors de l’annulation d’une autre revendication indépendante

Chaque revendication indépendante est… indépendante : ainsi, la nullité d’une revendication indépendante n’a aucun impact automatique sur les autres revendications indépendantes (Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch. sect. 02, 11 mai 2001).

Sort d’une revendication dépendante d’une revendication annulée

Si une revendication est considérée comme non valide, cela ne signifie pas automatiquement que les revendications dépendantes doivent être annulées.

Par exemple, l’annulation d’une revendication pour défaut d’activité inventive n’entraîne pas automatiquement l’annulation des revendications qui en dépendent (C. Cass. com. 20 mai 2014, n°13-10061 ou C. Cass. ch. com., 7 janvier 2014, n°12-25955).

Cela peut sembler évident en ce qui concerne une nullité pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive (les revendications dépendantes constituant des limitations des revendications dont elles dépendent), mais la Cour de cassation est obligée régulièrement de le rappeler (C. Cass. com. 9 juillet 2013, n°12-18135).

De même, une revendication peut être insuffisamment décrite alors qu’une revendication qui en dépend ne l’est plus (le mode de réalisation précis alors revendiqué est précisément décrit dans la description).

Il en va de même pour l’extension du brevet au-delà de la demande telle que déposée : ce vice ne « contamine » pas nécessairement les revendications dépendantes (C. Cass. com., 12 juillet 2005, n°04-10105).

Si une revendication est annulée, les revendications qui en dépendent doivent être considérées comme étant indépendantes et leur validité doit être analysée (Cour d’appel de Paris, 4e ch. sect. B, 7 mai 2009) tout en prenant en compte le contexte de la revendication annulée (Cour d’appel de Paris, 4e ch., 8 novembre 2000).

Sort d’une revendication dépendante d’une revendication maintenue

A contrario, si une revendication est considérée comme valide, cela ne signifie pas automatiquement que les revendications dépendantes doivent être maintenues.

Bien entendu, si une revendication est considérée comme nouvelle et inventive, les revendications dépendantes de celle-ci :

Limitation venant modifier la formulation des revendications
Principe

Le plus souvent, la limitation des revendications est demandée par le titulaire du brevet lui-même pour échapper à une annulation totale de la revendication demandée par l’adversaire.

En cas de limitation, le juge renvoie le breveté devant l’INPI pour procéder à celle-ci (L613-27 CPI, 3e alinéa).

Néanmoins, cette limitation n’est pas un droit : si le juge préfère une annulation totale, il peut très bien la prononcer (Cour d’appel de Paris, 4e ch., sect. B, 20 mai 2005).

Exemples de limitations

Les juges ont déjà accepté de limiter des revendications dans le cadre d’une extension de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée (ex. si une revendication avait été étendue en « appareil de cuisson » au lieu de « friteuse » , le juge peut revenir à la portée initiale plus petite afin de rétablir sa « véritable portée » , C. Cass. com., 15 novembre 1994, n°93-12917).

Néanmoins, si le vice du brevet consiste en l’ajout d’une limitation à une revendication contraire à l’article L613-25 CPI c) (ex. limitation non initialement divulguée par la demande), le juge ne pourra pas supprimer simplement cette caractéristique : en effet, une telle suppression constituerait un vice au regard de l’article L613-25 CPI d), car la portée de la revendication s’en trouverait élargie.

Il semble possible d’obtenir une limitation si l’étendue de la protection conférée par le brevet a été accrue après délivrance (L613-25 CPI d)) : dans cette hypothèse le juge peut limiter à la porter initiale de la revendication délivrée (pour autant que cette limitation ne soit pas contraire à l’article L613-25 CPI c)).

Par ailleurs, si la revendication présente des alternatives (ex. « de l’aluminium ou du fer« ) et que seule l’une des alternatives est nouvelle et inventive, il semble possible que le juge prononce une limitation à la seule branche de l’alternative valide.

Enfin, si une revendication dépendante a été jugé non brevetable alors que la revendication dont elle dépend l’est, le juge peut prononcer une limitation en supprimant cette revendication dépendante.

Limitations peu probables

Si pour surmonter le vice affectant une revendication, il est nécessaire de réeffectuer une analyse complète de brevetabilité sur la base de la limitation introduite, il est peut probable que le juge l’accorde : le rôle du juge n’est pas de refaire un examen en examinant les différentes propositions de modification du titulaire !

Une annulation pure et simple de la revendication est plus probable…

Mais est-ce juridiquement possible ?

En réalité je me demande vraiment si cette limitation (i.e. une limitation venant modifier la formulation des revendications) est possible.

En effet, l’article L613-25 CPI prévoit que « Si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications« … Donc il faut un motif de nullité partielle (je rappelle que le motif est la raison de la décision du juge sur les prétentions des parties).

Dès lors, si une partie invoque une nullité de toutes les revendications, le juge doit dire si cela est vrai ou faux. Il ne peut pas vraiment (enfin selon moi) dire « c’est vrai mais quand même ca serait faux si la revendication était écrite comme suit…« . C’est d’ailleurs la position des juges dans la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris, ch 03 sect 04, 20 octobre 2011, RG n°09/17807.

Pour moi, le seul cas où le juge peut rendre une décision avec des motifs de nullité partielle est le cas où certaines revendications survivent à l’examen de brevetabilité : le juge indiquera les revendications 1-3 sont nulles les revendication 4-12 sont ok, on va donc limiter le brevet à ce qui survit (bon, il est aussi vrai que c’est le cas de la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris, ch 03 sect 04, 20 octobre 2011, RG n°09/17807 et pourtant ils n’ont pas prononcé la limitation …).

Effets

D’une annulation

Sur le brevet

L’annulation d’un brevet a un effet absolu ou erga omnes (L613-27 CPI).

De plus, l’annulation a un effet rétroactif (principe général des nullités des actes juridiques) sur le brevet : les droits alors attachés au brevet sont réputés ne jamais avoir existé (« principe selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé » , C. Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n°03-18.624, « l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet » , C. Cass. com., 12 juin 2007, n°05-14548).

Dans l’hypothèse d’un brevet européen, il n’est pas exclu qu’une décision française puisse annuler un brevet alors qu’une opposition formée en parallèle maintienne ultérieurement le brevet sous une forme modifiée : l’effet absolu de l’annulation s’impose à la décision ultérieure de l’OEB (même si, le plus souvent, les juges français sursoient à statuer en considération d’une bonne administration de la justice, Tribunal de Grande Instance de Paris, ch. 03, 24 mars 1999).

Sur le certificat complémentaire de protection

L’annulation du brevet entraîne la disparition du certificat complémentaire de protection (ou CCP) qui s’y rattache (L613-28 CPI).

Sur les actes de contrefaçon allégués

Dès lors que le brevet est annulé rétroactivement (voir supra), les actes d’exploitation de l’invention ne pourront plus être considérés comme des actes de contrefaçon (C. Cass. com., 12 juin 2007, n°05-14548).

Sur le caractère abusif de l’action en contrefaçon

Le fait que le brevet soit annulé ne rend pas de facto l’action en contrefaçon abusive (voir 32-1 CPC, Cour d’appel de Paris, 4e ch., sect. A, 5 février 2003 et Cour d’appel de Paris, ch. 04, sect. B, 29 mars 2002).

Sur les cessions du brevet

Si le brevet est annulé totalement, les cessions éventuelles (dont le brevet a pu être l’objet avant son annulation) peuvent être annulées pour défaut d’objet et/ou de cause (C. Cass. com., 8 juillet 1981, n°79-15844 ou Cour d’appel de Paris, 4e ch. sect. A, 19 octobre 2005).

Si le brevet est annulé partiellement, le juge doit chercher la « commune intention des parties » par l’interprétation du contrat et déterminer si un contrat aurait été signé pour un brevet ainsi limité.

Le fondement juridique de cette annulation semble être, selon la doctrine, la garantie des vices cachés (1641 Code civil) due par le cédant au cessionnaire (une minorité a soutenu que la garantie due était liée à la garantie de non-éviction du fait des tiers, Cour d’appel de Paris, 4e ch. sect. A, 19 octobre 2005).

Conformément au droit commun des nullités, il convient d’essayer de remettre les parties dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat. Si le brevet ne peut être rendu, il est possible (1644 du Code civil) :

  • de restituer le prix de cession du brevet via une action rédhibitoire (annulation totale du brevet) (1648 du Code civil) ;
  • de restituer une partie du prix de cession du brevet via une action estimatoire (annulation partielle du brevet) ;

Les profits réalisés par le cessionnaire pendant la période d’efficacité du brevet peuvent être déduits du prix de cession pour « compenser » la destruction du brevet et sa non-restitution (1647 Code civil) mais cela reste à la libre appréciation du juge.

Par ailleurs, il est tout à fait possible de prévoir une clause dans le contrat de cession exonérant le cédant de la garantie (1643 Code civil) ou de prévoir que le contrat serait un contrat aléatoire. Cette clause doit néanmoins être écartée en cas de dol du vendeur (C. Cass. pl., 30 juin 1998, n°96-11866).

Sur les licences existantes

Si le brevet est annulé totalement, le contrat de licence peut être annulé pour défaut d’objet et/ou de cause (ex. pour les marques, C. Cass. com., 1er juin 1999, n°97-12853).

Le fondement juridique de cette annulation semble être, comme pour la cession, la garantie des vices cachés (pour le louage de chose, 1721 Code civil) due par le concédant au concessionnaire.

En cas d’annulation partielle du brevet, le licencié pourra (à l’image de ce qui se passe pour la cession) demander l’anéantissement du contrat pour défaut d’objet et/ou de cause ou une réduction des redevances pour le futur.

Néanmoins, il semblerait que les licences déjà versées ne doivent pas être remboursées même si le brevet est réputé n’avoir jamais existé (C. Cass. com, 28 janvier 2003, n°00-12149, le licencié ayant « profité » de l’apparence de licence) : cette approche est cohérente avec la position classique selon laquelle la résolution d’un contrat opère sans rétroactivité pour les contrats à exécution successive (C. Cass. civ. 1, 1 octobre 1996, n°94-18657).

En outre, le concédant pourra être tenu (sur le fondement de 1721 Code civil alinéa 2) :

  • de restituer une partie des redevances encaissées à compter de la date où le trouble de jouissance du licencié a commencé, et
  • payer des dommages et intérêts pour le manque à gagner futur.

Il est tout à fait possible de prévoir une clause dans le contrat de licence exonérant le concédant de la garantie (C. Cass. soc., 11 mars 1986, n°84-11231).

Sur des transactions intervenues entre un présumé contrefacteur et le titulaire

Il est possible qu’un présumé contrefacteur ait transigé avec le titulaire du brevet pour éviter un procès.

Dans cette hypothèse, la transaction ne sera pas annulée et les sommes versées n’ont pas de raisons particulières d’être remboursées (C. Cass. com, 28 janvier 2003, n°00-12149).

Sur les décisions ayant condamné des tiers pour contrefaçon

Il peut arriver qu’une personne soit, dans un premier temps, condamnée sur la base d’un brevet et que, dans un deuxième temps, ce brevet se fasse annuler.

Se pose alors la question du conflit de l’autorité de la chose jugée (i.e. la condamnation du contrefacteur) et l’annulation rétroactive du brevet qui priverait de fondement juridique la condamnation.

Après quelques hésitations jurisprudentielles (ex. C. Cass. com., 3 mars 2009, n°06-10243), la Cour de cassation, en séance plénière, a finalement indiqué que l’annulation d’un brevet ne fonde pas le remboursement des sommes déjà versées en exécution de sa condamnation (C. Cass. pl. n°10-24282, 17 février 2012) : l’autorité de la chose jugée est un principe supérieur à la rétroactivité de la nullité.

Néanmoins, il est raisonnable de penser que le juge de l’exécution (L213-6 COJ) refusera :

  • toute mesure visant à faire respecter une interdiction de réalisation des actes « contrefaisants » (effet libératoire – il en irait de même si le brevet venait à être déchu ou venait à expirer) ;
  • toute mesure visant à faire exécuter une condamnation non encore liquidée (C. Cass. com, 12 juin 2007, n°05-14548) ;
  • toute mesure visant à liquider une astreinte (en marque, C. Cass. 2e civ, 6 janvier 2005, n°02-15954).

Pour l’avocat général Le-Mesle, ces derniers points seraient justifiés par la formulation même de l’article L613-27 CPI : l’annulation a un effet absolu, justifiant ainsi la cessation des effets du jugement de condamnation pour l’avenir.

D’une non-annulation

La décision rejetant la nullité d’un brevet n’a pas d’effet absolu (C. Cass. com., 5 mai 1987, n°85-16892).

Néanmoins, s’il existe la triple identité de demande, de parties et de cause, l’autorité de la chose jugée empêchera le demandeur à l’action de redemander la nullité (1351 CPC).

Néanmoins, il restera possible :

  • pour des tiers de demander la nullité d’un brevet pour les mêmes causes/motifs, ou
  • pour une même partie de redemander l’annulation du brevet en se fondant sur un nouveau motif d’annulation ou cause (C. Cass. com., 10 mars 1980, n°78-11697) :
    • sachant que par « motifs d’annulation » ou « cause » il faut comprendre insuffisance de description, nullité, activité inventive… (Cour d’appel de Paris, 4e ch. sect. A, 7 mai 1996) peu important étant les preuves de ce motif (i.e. documents de l’art antérieur, caractéristiques attaquées différentes pour insuffisance de description Cour d’appel de Paris 4e ch., 27 mai 1998, etc.) ;
    • si le brevet a été modifié, il est probable qu’un même motif pourra être réinvoqué, sauf (afin de ne pas entrer en contrariété avec l’autorité de la chose jugée) :
      • celui ayant provoqué la modification du brevet ;
      • celui soutenant que la modification du brevet constitue une extension de la protection de la demande après délivrance (L613-25 CPI d)).
    • Néanmoins, il faut noter que la Cour d’Appel de Paris semble revenir sur cette jurisprudence (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 9 mai 2014) au motif que le demandeur doit présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci (application du principe de la « concentration des moyens » de la C. Cass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10672).

Dans l’hypothèse d’un brevet européen, il n’est pas exclu qu’une décision française puisse maintenir un brevet alors qu’une opposition formée en parallèle annule / modifie ultérieurement le brevet. Dans ce cas, la décision de l’Office européen des brevets s’impose aux juridictions nationales (A68 CBE).

L’exception de nullité

Principe

Afin de se défendre, il semble tout à fait possible de soulever une exception de nullité du brevet (ex. C. Cass com., 17 décembre 1964, n° 60-12295 dans laquelle une exception de nullité est soulevée par une partie).

Nature juridique de l’exception

Le terme d’ « exception » semble être, en réalité, un abus de langage, car les « exceptions de nullité » d’un brevet ne sont pas des exceptions de procédure au sens du code de procédure civile (voir l’exception de nullité de l’article 112 CPC).

Si la loi du 5 juillet 1844 (article 46) prévoyait la possibilité de recourir à une exception permettant au juge répressif de connaitre de la validité du brevet, cette disposition a aujourd’hui disparu : les « exceptions de nullité » soulevées de nos jours semblent être, en réalité, des défenses au fond (prévues par l’article 71 CPC) :

Constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.

Exception et demande reconventionnelle

Si l’exception de nullité demande plus que ce rejet, l’exception de nullité aurait dû être formulée sous la forme d’une demande reconventionnelle (64 CPC) : dès lors, toute demande additionnelle (ex. restitution des sommes payées au titre d’un contrat de licence) exprimée en dehors du délai de prescription doit être déclarée irrecevable (C. Cass. 1re civ. 1er décembre 1998, n°96-17761).

Tribunaux compétents

En matière civile

On peut se demander si, conformément à l’article L615-17 CPI ensemble D211-6 CPI, seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent lorsqu’une exception de nullité est soulevée.

La réponse est oui !

En effet, le juge du principal est également compétent pour connaitre de tous les moyens de défense « à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction » (49 CPC) : cela est le cas en matière de brevet et un renvoi devra être effectué.

En matière pénale

Comme pour l’action reconventionnelle en nullité, le tribunal correctionnel peut connaitre de l’exception de nullité du brevet (384 CPP) : le juge pénal est compétent pour statuer sur toute exception soulevée.

Le défendeur à l’exception

Est-il possible d’invoquer une exception de nullité du brevet lorsque le licencié exclusif a introduit l’action en contrefaçon au principal (cf. plus haut en ce qui concerne l’action reconventionnelle).

À mon sens, la « recevabilité » de l’exception ne doit pas être analysée à l’image de ce que l’on peut faire pour une action : l’exception doit simplement être pertinente pour pouvoir se défendre.

Dès lors, si une action reconventionnelle en nullité ne pas peut être dirigée à l’encontre d’un licencié, l’exception, elle, semble pouvoir être opposée à toute personne (car elle permet de se défendre, voir C. Cass. 1re civ., 21 février 1995, n°92-17814 en matière de vente, la nullité d’un contrat est opposée à un tiers).

Effets

Si l’exception de nullité est accueillie

L’effet d’un jugement accueillant favorablement une exception de nullité est largement discuté par la doctrine.

Si certains pensent que, contrairement aux actions principale et reconventionnelle, l’exception de nullité ne provoque pas une annulation du brevet erga omnes (i.e. opposable à tous) (car l’exception ne vise que le rejet des prétentions adverses et non la nullité du brevet), la Cour de cassation s’est déjà prononcée pour un effet absolu de cette annulation (C. Cass. com., 20 janvier 1987, Conforglace c/ Miroiterie Voironnaise H. Héritier : PIBD 1987, no 410, III, p. 149).

Il convient de se référer au dispositif de la décision (480 CPC) pour savoir si la question de la nullité soulevée par exception aura l’autorité de la chose jugée (1351 CPC).

Si l’exception de nullité est écartée

Il est assez probable que l’effet du rejet d’une exception de nullité est comparable au rejet d’une action en nullité (voir supra).

Prescription

Principe

En procédure civile, il existe un adage latin « quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum » (i.e. « ce qui éphémère par voie d’action est perpétuel par voie d’exception« ) (ex. C. Cass. 3e civ., 10 mai 2001 n°99-11762).

Ainsi, il semble tout à fait possible de soulever une exception de nullité du brevet comme moyen de défense, sans se soucier de la prescription éventuelle de l’action.

Délai de prescription expiré

Néanmoins, la Cour de cassation précise que l’exception de nullité n’est recevable que si le délai de prescription est expiré (C. Cass. com. 26 mai 2010, n°09-14431 ou C. Cass. 1re civ, 4 mai 2012 n°10-25558 ou encore C. Cass. com. 3 déc. 2013, n° 12-23976) : s’il n’est pas expiré, il faut privilégier l’action reconventionnelle en nullité.

Commencement d’exécution du contrat

Principe

Dans le cadre d’une relation contractuelle, l’exécution du contrat vient faire obstacle au caractère perpétuel de l’exception (C. Cass. 1re civ, 4 mai 2012 n°10-25558), la nullité invoquée fut-elle relative ou absolue (C. Cass. civ. 1re, 24 avr. 2013, n° 11-27082).

Cas d’un contrat de licence

Si, en général, ce principe n’a pas lieu de s’appliquer (car il n’existe souvent pas de contrat entre le titulaire et le contrefacteur), on peut s’interroger sur l’applicabilité de ce principe dans l’hypothèse où un licencié est poursuivi en contrefaçon pour dépassement des limites fixées par son contrat de licence.

Si le licencié a déjà payé des licences (i.e. exécution d’une partie du contrat de licence), sera-t-il en droit d’invoquer une exception de nullité à l’encontre du brevet, objet de la licence ?

À mon sens, le licencié serait tout à fait en droit de soulever cette exception, car l’exception de nullité n’est pas directement dirigée vers le contrat de licence lui-même, mais vers le brevet objet du contrat.

Limitations à la contestation du brevet

Principe

Le titulaire d’un brevet (respectivement le cessionnaire) peut souhaiter insérer dans les contrats de licence (respectivement de cession) une clause visant à interdire la contestation directe ou indirecte de la validité des brevets concédés (respectivement cédés) (clause jugée a priori valable par principe C. Cass. com, 7 décembre 1964).

Conséquence en cas de non-respect de la clause

La Cour de cassation a indiqué que la violation de cette obligation devait être sanctionnée par une fin de non-recevoir (C. Cass. mix., 14 février 2003, n°00-19423 et 00-19424).

Limitation et cadre du contrat

A priori, une telle clause peut limiter l’introduction d’une action en nullité (à titre principal ou à titre reconventionnel) dans le cadre de l’exécution du contrat.

Néanmoins, si le licencié est poursuivi pour contrefaçon (car il a outrepassé le cadre contractuel de sa licence), il semble possible de se défendre en soulevant la nullité du brevet par voie d’action reconventionnelle ou d’exception (C. Cass. com., 17 décembre 1964).

Limitation et droit communautaire

Historique

Une clause visant à interdire la contestation d’un brevet dans un contrat de licence était historiquement interdite par le Règlement 2349/84 du 23 juillet 1984 (interdiction liée à la libre concurrence, voir aussi Décision de la Commission 2 décembre 1975, 76/29/CEE).

Principe : une interdiction probable de la limitation

Si le Règlement 772/2004 du 7 avril 2004 (remplaçant aujourd’hui le Règlement 240/96 et le Règlement 2349/84) ne liste pas explicitement les clauses interdites, il est raisonnable de penser qu’une telle clause serait toujours interdite (tout du moins, il convient de l’analyser, au cas par cas, au regard de l’article 101(1) ensemble 101(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Une clause de résiliation de l’accord en cas de contestation reste néanmoins possible (art. 5.1.c du Règlement 772/2004 du 7 avril 2004).

Exception à cette interdiction

La CJCE avait précisé, il y a quelque temps (arrêt du 27 septembre 1988 de la CJCE, affaire 65/86) qu’une telle clause devait être interdite sauf :

  • si une telle clause visait justement à mettre fin à un litige pendant devant une juridiction nationale ;
  • si la licence est concédée à titre gratuit ;
  • si la licence porte sur un procédé techniquement dépassé.

Limitation et ancien breveté

Le cédant doit au cessionnaire une garantie d’éviction de son fait personnel, garantie d’ordre public (1628 Code civil) qu’il ne peut pas écarter.

Dès lors, il ne pourra pas demander la nullité du brevet à titre principal.

2 commentaires :

  1. Bonjour,

    Bravo pour votre blog.

    En cas d’autorité de la chose jugée, il est indiqué qu’il restera possible pour une même partie de redemander l’annulation du brevet en se fondant sur un nouveau motif d’annulation.

    Cependant, dans son arrêt n° 12/15690 du 9 mai 2014, la CA de Paris applique la juriprudence Cesareo. P. Vigand commente cette décision dans le Propriété industrielle n° 9, Septembre 2014, comm. 61.

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