Interdiction provisoire

Conditions de l’interdiction

Principe

Afin de pouvoir demander, en référé ou sur requête (L615-3 CPI, alinéa 3), une mesure provisoire, il faut démontrer (L615-3 CPI, alinéa 1) :

  • la vraisemblance de l’atteinte aux droits du brevet ou
  • l’imminence de cette atteinte.

Requête ou référé

Pour qu’une interdiction soit prononcée sur requête (i.e. sans contradictoire), il faut que l’urgence soit telle qu’un contradictoire ne soit pas possible. En particulier, il faire faire la balance entre les éléments suivants (C. Cass. com. n°13-10189, 16 septembre 2014) :

  • l’absence de doute quant à la contrefaçon ;
  • le fait qu’une contrefaçon éventuelle puisse être réparée par des dommages et intérêts ;
  • l’urgence soit telle qu’un référé d’heure à heure ne soit pas possible.

Précision sur la vraisemblance

La vraisemblance ne vise pas la validité du brevet (qui relève du ressort des juges du fond), mais ne vise que l’atteinte au brevet (Cour d’Appel de Paris, pôle 1, 2e ch., 21 mars 2012).

Seule la nullité manifeste du brevet peut rendre non vraisemblable l’atteinte imminente à ces droits (Cour d’Appel de Paris, pôle 1, 2e ch., 21 mars 2012).

Cette nullité manifeste peut éventuellement être analysée par le juge de la mise en état (si celui-ci est compétent, i.e. si l’interdiction provisoire est demandée après sa désignation, 771 CPC) (Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch., 2e sect., ordonnance du juge de la mise en état, 7 mars 2014).

Précision sur l’imminence de l’atteinte

Le fait qu’une société étrangère fabricant des produits contrefaisants soit présent sur un salon peut démontrer la volonté de cette société d’introduire les produits en France et ainsi justifier des mesures provisoires d’interdiction (Tribunal de Grande Instance de Paris, ordonnance du juge de la mise en état, 8 juillet 2009).

Le fait d’obtenir une AMM ne démontre aucune imminence de l’atteinte, seule l’obtention d’un prix par le CEPS et sa publication au JO démontre un caractère imminent (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, 2e ch., 23 mai 2013).

« Bref délai » ?

On peut se demander si la demande d’interdiction doit être présentée à « bref délai » à compter du jour où le breveté a eu connaissance des faits litigieux.

Si cette exigence est classique dans le domaine des référés (C. Cass. com. n°92-14361, 1er mars 1994), il semble toutefois que le législateur n’ait pas souhaité ajouter une telle condition pour les demandes d’interdiction provisoire : en effet, la terminologie « bref délai » a été supprimée de l’article L615-3 CPI lors de sa modification du 30 octobre 2007.

Brevet / demande de brevet ?

Brevet français

L’article L615-3 CPI prévoit que toute personne « ayant qualité pour agir en contrefaçon » peut demander une mesure d’interdiction provisoire.

Dès lors, comme le titulaire d’un brevet français peut agir en contrefaçon (L615-2 CPI), il est possible, sur cette base, de demander une mesure d’interdiction provisoire.

Demande de brevet français

Il n’est pas très clair si une mesure d’interdiction provisoire peut être demandée sur la base d’une demande de brevet.

En toute rigueur, l’article L615-4 CPI, alinéa 5, prévoyant qu’une action en contrefaçon puisse être engagée sur la base d’une demande de brevet, il conviendrait d’autoriser une telle demande (L615-3 CPI).

Brevet européen

L’article L615-3 CPI prévoit que toute personne « ayant qualité pour agir en contrefaçon » peut demander une mesure d’interdiction provisoire.

Dès lors, comme le titulaire d’un brevet européen peut agir en contrefaçon (L615-2 CPI ensemble A64(1) CBE), il est possible, sur cette base, de demander une mesure d’interdiction provisoire.

Demande de brevet européen

A priori, une demande de brevet européenne ne peut pas servir de base à une demande d’interdiction provisoire, l’article L614-9 CPI ne mentionnant pas l’article L615-3 CPI (Cour d’appel de Paris, ch. 14, 12 décembre 1997).

Cette omission de l’article L614-9 CPI semble tout de même contestable, car l’A66 CBE précise que « La demande de brevet européen [… ] a, dans les États contractants désignés, la valeur d’un dépôt national régulier » .

Dès lors, si l’on reconnait le droit de demander une interdiction provisoire sur la base d’une demande française, il semblerait illogique de la refuser pour une demande de brevet européen.

Juge compétent

Si la compétence du juge des référés ne semble pas poser de problème, nous pouvons nous demander si le juge de la mise en état peut prononcer des mesures d’interdiction provisoires…

Au visa de l’article 771 du Code de procédure civile, la décision de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 3 novembre 2015, RG n°2013/14310 y réponds par l’affirmatif.

Moment de la demande en interdiction provisoire

Cette interdiction peut être prononcée, éventuellement sous astreinte, avant l’instance ou au cours de celle-ci (L615-3 CPI, alinéa 4).

Garantie / Provision

Principe

Il est habituel que le juge demande de constituer une garantie (le plus souvent une caution bancaire) afin de dédommager le prétendu contrefacteur si celui-ci s’en vu imposer une mesure provisoire, au final, injustifié (L615-3 CPI, alinéa 2).

Le juge peut également demander au prétendu contrefacteur de constituer une provision dans l’hypothèse de sa condamnation (si celle-ci est probable, L615-3 CPI, alinéa 3).

Responsabilité sans faute / pour faute ?

Le dédommagement du prétendu contrefacteur ne présuppose pas nécessairement de faute de la part du demandeur à l’interdiction : l’exécution de la mesure d’interdiction engage la responsabilité sans faute du demandeur (L111-10 CPCE) (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 31 janvier 2014).

Il est possible de cumuler cette responsabilité sans faute avec une responsabilité pour faute sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (ex. manœuvres dilatoires ou intention de nuire) (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 31 janvier 2014).

Action au fond

Principe et délai

Si une action au fond est déjà en cours, il n’y a pas de difficulté.

Dans le cas contraire, il sera nécessaire d’introduire une action au fond dans un délai de 20 jours ouvrables ou de 31 jours civils (L615-3 CPI, alinéa 5 ensemble R615-1 CPI).

Cette action peut être civile ou pénale ou consister en un dépôt de plainte auprès du procureur (L615-3 CPI, alinéa 5).

Point de départ du délai

Le point de départ du délai est normalement « à compter de la date de l’ordonnance » (R615-1 CPI).

Néanmoins, il faut comprendre que le délai ne court qu’à compter de la date de l’ordonnance qu’à la condition que (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, 2e ch., 26 mars 2015, RG :14/12790) :

  • le juge ait avisé les parties de la date à laquelle l’ordonnance sera rendue et
  • que cet avis soit mentionné dans la décision.

Si cette mention ne figure pas dans l’ordonnance, le point de départ du délai est différé à la date de notification de l’ordonnance, ou, en l’absence de notification, à la date où la partie concernée a eu, par un moyen quelconque, connaissance effective de cette décision (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, 2e ch., 26 mars 2015, RG :14/12790).

Sanction

À défaut, toutes les mesures ordonnées sont nulles et des dommages et intérêts pourront être attribués à la partie lésée (voir supra, L615-3 CPI, alinéa 5).

Contestations sérieuses pouvant contrer la demande

Les défendeurs peuvent présenter certains éléments visant à bloquer la demande d’interdiction provisoire :

Recours

L’ordonnance ordonnant ces mesures provisoires est susceptible de recours, par les deux parties, devant la Cour d’appel de Paris (490 CPC (référé) et 496 CPC (requête)).

Le recours n’est pas suspensif en matière d’exécution provisoire (539 CPC).

Demande de suspension des mesures d’interdiction

Il est possible de demander la suspension des mesures d’interdiction provisoires par application de l’article 524 CPC alinéa 2 (Cour d’appel de Paris, ch. 01, sect. P, ordonnance de référé, 21 septembre 2001).

Un commentaire :

  1. Bonjour,

    En référence à la Section 6 (intitulée « Recours »), il semble que « d’un point de vue procédural, le référé-rétractation (496 CPC) n’est pas une
    voie de recours au sens du Code procédure civile » […] « La demande en rétractation n’étant pas une voie de recours, elle n’est soumise à aucun délai ».

    Source : Rétractaction d’une ordonnance sur requête, Nicolas Lisimachio et Alice Bon, La semaine Juridique, Edition Générale N°14 (disponible sur http://www.brunswick.fr)

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