Les inventions mixtes (activité inventive)

Principe

Il peut arriver qu’une invention comporte à la fois des caractéristiques techniques et non techniques (Directives G-VII 5.4), si celles-ci sont prises isolément.

Pour autant, le fait qu’une caractéristique soit non technique ne suffit pas en soit pour l’exclure du raisonnement d’activité inventive : il est erroné de conclure que l’objet revendiqué n’est pas une invention parce que seules les caractéristiques non techniques apportent une contribution à l’état de la technique (T154/04).

Ces caractéristiques « non techniques » peuvent tout à fait contribuer à l’activité inventive si elles contribuent au caractère technique de l’invention pour résoudre un problème technique (T336/14).

Ainsi, la question que l’on va se poser dans le cadre d’une invention « mixte » est : les caractéristiques contribuent-elle au caractère technique de l’invention ?

Dès lors, le critère de la technicité ou non de la caractéristique (prise unitairement) n’est pas le critère pertinent : il faut regarder le critère de contribution au caractère technique de l’invention prise dans sa globalité.

Un raisonnement de type « l’invention n’est pas inventive car la seule contribution technique est le fait de recourir à un ordinateur » n’est pas acceptable (T471/05 ou T625/11).

Démarche à suivre

Caractéristiques ne contribuant pas au caractère technique ?

Les caractéristiques qui ne contribuent pas au caractère technique de l’invention ne peuvent étayer l’existence d’une activité inventive (T641/00). Elles peuvent en revanche être utilisées dans la formulation du problème technique, en tant que spécifications à respecter.

Cela peut être par exemple le cas lorsqu’une caractéristique aide uniquement à résoudre un problème non technique, tel qu’un problème se posant dans un domaine exclu de la brevetabilité (Directives G-VII 5.4).

Caractéristiques contribuant au caractère technique ?

Principe

Pour identifier ces caractéristiques non-techniques (mais devant être considérées pour l’activité inventive), il convient d’identifier les étapes qui ont une contribution technique (Directives G-VII 5.4).

Aide de l’homme du business ou procédé administratif

La notion de « personne du business » (ou « entrepreneur ») peut aider à distinguer les considérations business (administratives) des considérations techniques, cette personne ne pouvant formuler que des exigences business sans y intégrer d’aspects techniques (T1463/11).

Si la personne du business n’est pas capable de formuler une exigence, cette exigences / caractéristique a toute les chances d’être technique (T2314/16).

Si la caractéristique a un sens pour l’homme du business car elle correspond à une organisation de son business (ex. intervalle de numéros de production d’un produit), cette caractéristique a toutes les chances d’être non technique (T232/14).

Par exemple, une authentification à mot de passe unique ne sera pas considéré comme purement administratif (et donc non-technique) car cela va largement au delà de ce que l’homme du business peut comprendre ou spécifier (T1408/18).

Démarche

Pour effectuer une analyse rigoureuse, les directives (Directives G-VII 5.4) proposent une démarche systématique sur la base de l’approche problème-solution mentionnée ci-dessus :

  • identification des caractéristiques contribuant au caractère technique de l’invention pris dans sa globalité ;
  • sélection d’un art antérieur le plus proche en fonction de cette identification ;
  • identification des différences ;
  • détermination des effets techniques des différences afin d’identifier les caractéristiques différenciatrices qui contribuent au caractère technique de l’invention (i.e. celles qui ont un effet technique dans le contexte de l’invention prise dans son ensemble).

Les caractéristiques contribuant alors au caractère technique de l’invention seront alors utilisées pour le raisonnement d’activité inventive de manière classique.

Mais bien entendu, personne n’a jamais donné de définition de ce que l’on entend par « contribution au caractère technique »… (voir même point 5.3.6 de la décision T2825/19).

Indications concernant la contribution au caractère technique

Principe

A ce stade, et au regard de la jurisprudence, nous pouvons considérer que la caractéristique considérée doit remplir l’une ou l’autre de ces conditions pour avoir une contribution technique :

  • elle permet une implémentation technique particulière (i.e. liée au fonctionnement interne spécifique d’un ordinateur ou d’une implémentation matérielle) ;
    • est souvent considéré comme insuffisant une simple programmation, une implémentation technique standard, le fait qu’un algorithme soit simplement efficace, rapide, etc.
  • elle permet une application particulière à un domaine technique particulier (i.e. finalité technique) :
    • est souvent considéré comme insuffisant la référence à une application générique (i.e. « contrôle d’un système technique »)
    • il faut que l’application à ce domaine technique soit effective et non pas seulement possible.
    • cette finalité peut être la « sortie » du procédé (ex. détermination d’un paramètre de fonctionnement d’une centrale nucléaire T625/11).
    • cette finalité peut également transparaitre dans les paramètre d’entrée du procédé (ex. température de fonctionnement, pression, T625/11).

Mais une fois que j’ai dit cela, j’ai rien dit car aucune définition du mot technique n’existe.

Dès lors, il convient de regarder la jurisprudence afin de naviguer entre les concepts et afin de savoir ce que nous pourrons protéger.

Focus sur l’application à un domaine technique

Il est intéressant de se demander quels sont les « domaines techniques » possibles.

Sans les lister exhaustivement, la décision T1798/13 donne une interprétation intéressante ou tout du moins qui à le mérite d’exister : les membres de la chambre de recours considère que ce domaine doit viser un système technique qu’il doit être possible pour l’homme du métier d’améliorer.

Ainsi, la prévision météorologique n’est, pour la chambre de recours, pas technique, car il n’est pas possible d’améliorer « le temps qu’il fait » (cette prévision ne serait qu’une découverte pour le chambre).

Cette approche me laisse très perplexe… en effet, cela exclurait de fait :

  • les méthodes d’amélioration d’imagerie en médecine ;
  • les méthodes sismiques dans le domaine pétrolier ;
  • etc.

Même si l’amélioration d’un système technique me semble bien faire partie d’un domaine technique, je ne pense pas que cela soit limitatif.

Il faut que l’application soit considérée comme technique sur toute la portée des revendications (T489/14). En effet, si une partie de l’application peut concerner un jeu vidéo ou seulement la « conception » d’un bâtiment (qui est intellectuelle contrairement à la construction).

Cas de chaine technique rompue

Il peut arriver que l’effet technique soit obtenu grâce à une chaine technique « rompue » par le cerveau d’un individu.

Par exemple, si une information est présentée à un patient et si l’effet technique est obtenu en fonction du traitement de cette information par le cerveau de ce dernier, alors il n’est pas possible d’affirmer que l’effet technique est obtenu grâce à l’information présentée (T970/12, T1670/07, T752/19).

Exemples de contributions techniques

Exemples dans le domaine informatique

Une contribution technique peut être, par exemple (Directives G-II 3.6) :

  • la commande d’un processus industriel,
  • le fonctionnement interne de l’ordinateur proprement dit ou de ses interfaces sous l’influence du programme
  • le fait que le programme ait une incidence sur l’efficacité ou la sécurité d’un procédé,
  • le fait que le programme ait une incidence sur la gestion des ressources informatiques nécessaires
  • le fait que le programme ait une incidence sur le débit de transfert des données dans une liaison de communication.

Il convient toutefois de noter que l’accélération d’un temps de calcul n’est pas en soi, pour les chambres de recours, un effet technique susceptible de contribuer au caractère technique d’une invention (T1370/11).

Exemples dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA)

(Entre nous, l’intelligence artificielle doit être traitée comme tout algorithme informatique, mais comme les Directives nous donnent des exemples spécifique je les reproduis)

Un procédé mis en œuvre par une IA peut être technique si son domaine d’application est (Directives G-II 3.3.1) :

  • la médecine ;
  • la classification d’images, de vidéos, de sons.

Néanmoins, ne sera pas considéré comme technique, l’application à :

  • la classification de documents textuels sur la seule base de leur contenu textuel (??? what ???) ;
  • classification de données abstraites ;
  • classification de données réseau.

Bien entendu, on peut tout à fait tenter de sauver les derniers cas en ajoutant une autre finalité technique, ex. classification de données textuelles pour déterminer le meilleur moyen de compression de ces données.

De même, le fait d’obtenir un programme qui génère de manière plus précise des codes de facturation (non-technique) ne sera pas considéré comme technique (T755/18).

Exemple dans le domaine de la présentation d’information et d’interface utilisateur

À titre d’illustration, une présentation d’information contribuant au bon fonctionnement d’une machine (ex. guide l’utilisateur pour utiliser correctement le système technique sous-jacent) pourra participer à la résolution d’un problème technique, alors qu’une présentation d’information contribuant à une meilleure lecture/analyse d’un utilisateur (ex. comprendre ou mémoriser les étapes de mise en œuvre de la machine) devra être considérée comme non-technique (T336/14).

Ainsi, il est nécessaire que l’information aide de façon crédible l’utilisateur à effectuer une tâche technique au moyen d’un processus d’interaction homme-machine continu et guidé (T336/14).

Le simple fait d’afficher une information afin de faciliter un diagnostic ne sera pas technique (T1091/17).

En outre, une méthode rendant plus « réaliste » un retour haptique serait technique tandis qu’une méthode »augmentant le degré d’engagement des joueurs » (qui est purement subjectif) ne le serait pas (T339/13).

De même, le fait d’augmenter la satisfaction d’un spectateur n’est généralement pas technique tandis que le fait de prévoir un dispositif de temporisation d’affichage pour augmenter cette satisfaction peut l’être (T1117/19).

Exemples concernant les méthodes de simulation

En particulier, les méthodes de simulations d’objets (ex. CAO) mises en œuvre par ordinateur possèdent un effet technique si cette méthode possède un but futur, car « ce sont des procédés techniques modernes jouant un rôle essentiel dans la fabrication » (Directives G-II 3.3).

Une méthode de simulation de performance d’un circuit électronique à l’aide d’une méthode mathématique peut être brevetable si la méthode mathématique (qui n’est pas technique en soi) détaille comment la simulation se déroule et est liée au problème technique de simulation (T1227/05 et Directives Directives G-VII 5.4.2.4).

Selon G1/19, une méthode de simulation mise en œuvre par ordinateur peut en soi résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en œuvre sur un ordinateur.

On a souvent eu envie de rendre « technique » une revendication de simulation en indiquant que les données d’entrées sont mesurées ou réelles. Cela ne suffit pas à rendre technique l’invention, car la mesure et la simulation ne sont que juxtaposée et n’interagisse pas pour produire un effet technique combiné (T489/14 ah ?).

Exemples concernant les méthodes mathématiques

Par ailleurs, les méthodes mathématiques mises en œuvre par ordinateur possèdent un effet technique si leur but est technique (Directives G-II 3.3).

Par exemple, une méthode de traitement d’image fournissant comme résultat une certaine modification de l’image est considérée comme étant utilisée dans le cadre d’un procédé technique (T208/84 et T1161/04).

Exemples concernant les méthodes commerciales

Une méthode destinée à faciliter les achats (oui, je sais, ça part mal, hein ?) peut être brevetable si la caractéristique distinctive est le fait de déterminer un « itinéraire optimal d’achats pour les produits sélectionnés en accédant à une mémoire cache dans laquelle sont enregistrés les itinéraires optimaux d’achats associés à des requêtes antérieures » (T1670/07 et T279/05 et Directives G-VII 5.4.2.1).

En effet pour l’OEB, cette caractéristique possède une contribution technique, car elle concerne la mise en œuvre technique et a pour effet technique de permettre la détermination rapide de l’itinéraire optimal d’achats en accédant aux requêtes antérieures enregistrées dans une mémoire cache.

Pour identifier les caractéristiques techniques, la décision T144/11 nous donne une petite méthodologie :

  • On établit le besoin « business » ;
  • On intègre dans ce besoin business toutes les informations techniques nécessaires à la réalisation de ce besoin « business » (car autrement la personne techniquement qualifiée devrait les concevoir, ce qui n’est pas de son ressort) ;
  • On formule le problème technique sur cette base.

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