Extension au delà du contenu déposé

Principe

Une fois la demande déposée, le cadre de l’invention est fixé.

Si ultérieurement, le titulaire cherche à modifier ses revendications pour couvrir une « nouvelle invention » à laquelle il n’avait pas pensé lors du dépôt (ex. un produit d’un concurrent proche de son invention), il est normal de lui refuser cette modification (Directives H-IV 2.1).

C’est le principe de l’A123(2) CBE :

La demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s’étende au‑delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée.

Objet de la demande

L’ « objet » de la demande au sens de l’A123(2) CBE comprend :

  • les éléments qui décrivent l’invention (A83 CBE) ;
  • la présentation du problème posé ;
  • la solution ;
  • les avantages qu’elle apporte (R42(1) c) CBE).

Ainsi, il peut exister un problème d’extension pour tous ces points, et non seulement pour les revendications, comme cela est généralement admis.

Contenu de la demande telle que déposée

Font partie

Divulgations explicites

De la description

Bien entendu, les divulgations explicites dans la description font partie du contenu de la demande (G11/91).

Des revendications

Pour les revendications, elles font partie de la demande si elles ont été déposées à la date du dépôt (G11/91).

Divulgations des dessins (sous conditions)

Les dessins font également partie de la divulgation de la demande (G11/91).

Les dessins peuvent également servir de base à une modification si, à la lumière du reste du document (T676/90) :

  • la divulgation est claire et sans équivoque (Directives H-V 6) ;
  • la divulgation n’est pas une caractéristique « négative » (absence de… T170/87) ;
  • la divulgation n’est pas une mesure des dessins (T523/88, sauf si une échelle est indiquée, T398/92) ;
  • le support d’une telle modification doit clairement être perçu par l’homme du métier comme volontaire (et non fortuite) et délibéré de la part de l’inventeur afin de résoudre le problème technique (T398/00).

Il convient de noter que si les dessins sont déposés en couleur, la couleur peut être utilisée pour comprendre la signification de ceux-ci et leur portée (quand bien même la couleur est une irrégularité de forme, T1544/08).

Divulgations implicites

Les contenus implicites font également partie du contenu de la demande (T1599/18).

Une divulgation est implicite si la caractéristique objet de la divulgation s’impose à l’homme du métier comme étant la seule et unique possibilité compte tenu des divulgations explicites (i.e. conséquence claire et non équivoque de ce qui est mentionné explicitement, Directives G-VI 6).

On dit également que la divulgation découle directement et sans ambiguïté de la demande (T514/88).

À titre d’illustration, la divulgation d’une paire de chaussures n’implique pas nécessairement la présence de lacets (des scratchs ou d’autres systèmes d’attaches peuvent exister) : les lacets ne sont donc pas une divulgation implicite.

Néanmoins, la divulgation d’un avion implique nécessairement l’existence d’ailes : les ailes sont alors des divulgations implicites.

La décision T1599/18 indique même que plusieurs alternatives peuvent être divulguées implicitement. Ainsi, cette décision ne considère pas que la notion « non-équivoque » signifie qu’il n’y a pas plusieurs choix/alternatives/solutions.

Documents cités dans la demande (sous conditions)

Le contenu des documents cités dans la demande ne fait partie de son contenu que si (Directives H-IV 2.3.1) il ressort clairement de la description de l’invention telle que déposée (T689/90) que, cumulativement :

  • une protection est ou pourrait être recherchée pour ces caractéristiques ;
  • ces caractéristiques participent à la résolution du problème technique de l’invention ;
  • ces caractéristiques sont incluses (du moins implicitement) dans la description de l’invention ;
  • ces caractéristiques peuvent être identifiées de façon précise dans ce que divulgue le document de référence ;
  • le document cité est accessible (T737/90) :
    • à l’OEB : à la date de dépôt de la demande,
    • au public : à la date de publication de la demande.

Ne font pas partie

Abrégé

L’abrégé ne fait pas partie de la divulgation (T246/86 et Directives F-II 2.2).

Document de priorité

Les documents de priorité ne font pas partie du contenu de la demande telle que déposée (T260/85 et Directives H-IV 2.2.5).

Revendications produites après le dépôt

De même, les revendications produites après le dépôt (et contrairement à la description ou aux figures produites après le dépôt, Directives H-IV 2.3.2) ne font pas partie du contenu de la demande telle que déposée (Directives H-IV 2.3.3).

Analyse de l’extension

Principe

Directement et sans ambiguïté

Il y a extension de la demande si la modification ne découle pas directement et sans ambiguïté des informations contenues dans la demande telle que déposée, même en tenant compte d’éléments implicites pour l’homme du métier (Directives H-IV 2.2).

Interprétation

Pour identifier si la modification provoque une extension de contenu, il convient de considérer toutes les interprétation sensée de la modification (T1791/16).

 Si une revendication est ambiguë ou obscure, toutes les interprétations techniquement sensées doivent être prises en considération. Il suffit que l’une d’elles contienne un objet qui s’étend au-delà de la demande telle que déposée pour en déduire la présence de matière ajoutée.

Une question de portée ?

Certaines personnes m’ont déjà dit qu’une modification des revendications devait s’analyser, au regard de l’A123(2) CBE, en terme de portée des revendications : est-ce que la nouvelle portée des revendications était supportée par la description ?

Rien n’est plus faux : la portée des revendications n’est aucunement le critère ici…

En effet, il est tout à fait possible de modifier les revendications, sans modifier la portée de celles-ci, alors que la modification serait contraire aux prescriptions de l’A123(2) CBE (ex. modification d’une revendication initiale « dispositif en métal…  » par « dispositif en métal, par exemple de l’aluminium, …  » .

Utilisation de l’A69 CBE ?

Lorsque nous analysons une extension, nous pouvons légitimement nous demander si l’A69 CBE doit être utilisée : faut-il interpréter les revendications à la lumière de la description ?

La réponse est oui (T516/18) que cela soit pour avoir une interprétation extensive de la portée ou restrictive.

Utiliser la description et les dessins pour interpréter les revendications est permis et même nécessaire si l’homme du métier, même animé de la volonté de comprendre, est confronté à des caractéristiques non claires et/ou incohérentes.

Modification des dessins

Si les dessins sont modifiés sur la base de dessins déposés qui n’étaient pas dans la langue de la procédure, il n’existe pas d’extension au-delà du contenu tel que déposé (T382/94).

Ajout de caractéristiques

Lors d’un ajout d’une caractéristique dans la demande, il convient d’analyser si cette caractéristique découle directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée (Directives H-IV 2.2 et T201/83).

Il n’est pas nécessaire que cette caractéristique ait une contribution technique (G1/93).

Si oui, il convient de considérer cet ajout comme respectant les critères de l’A123(2) CBE.

Disclaimer

Si pour des raisons juridiques (ex. éviter une exception à la brevetabilité), un disclaimer est ajouté, il est acceptable s’il ne modifie pas le contenu technique de la divulgation (G1/03 et G2/03)

Ajout de limitations non-techniques

Il peut arriver que les revendications soient limitées, durant la procédure, de manière non-technique (ex. restriction de la méthode revendiquée à uniquement certains moments, ou à certains paramètres uniquement).

Dans cette hypothèse, les chambres de recours semblent considérer que ces limitations ne sont pas interdites par l’A123(2) CBE (T1779/09) : le principe semble ici d’éviter au titulaire de tomber dans la « tenaille » des A123(2) CBE et A123(3) CBE.

Suppression/substitution de caractéristiques

Le test d’essentialité ou triple test

La suppression/substitution de caractéristiques d’une revendication est possible si (Directives H-V 3.1 et T331/87) :

  • cette caractéristique n’est pas présentée comme essentielle dans la divulgation de l’invention,
  • cette caractéristique n’est pas indispensable, en tant que telle, à la réalisation de l’invention eu égard au problème technique que celle-ci se propose de résoudre, et
  • sa suppression/substitution n’impose pas de vraiment modifier en conséquence d’autres caractéristiques.

On appelle le plus souvent ce test « test d’essentialité » ou le « triple test » .

Vers la fin du test d’essentialité ou triple test

Certaines décisions remettent en cause ce test (T1852/13 ou T1462/14) ou tout du moins affirme que ce test ne définit pas des conditions suffisantes : d’autres conditions peuvent s’ajouter en fonction du cas d’espèce.

En effet, il est noté que la décision T331/87 établit un test dans un cas précis et n’affirme pas que ce test est absolu (« may not violate A123(2) EPC« ).

Pour la chambre de recours (T1852/13 ou T172/17), le « Gold standard » (i.e. directement et sans ambiguïté) doit toujours s’appliquer (et il est bien plus restrictif que le triple test).

Sélection dans deux listes

Listes non-convergentes

Le fait de faire un choix dans plusieurs listes non convergente n’est pas admissible au regard de l’A123(2) CBE (T727/00 ou T686/99).

Une liste non-convergente est une liste de type : « A ou B ou C ou D« .

Par ailleurs, une sélection de deux composés dans une liste unique équivaut à une sélection de composés dans deux listes identiques et n’est donc pas admissible (T1374/07).

Ces considérations restent vrais même si la description prévoit une phrase de type « n’importe quelle combinaison parmi …« . En effet, le nombre de combinaison est souvent trop importante pour qu’une combinaison particulière soit divulguée « directement et sans ambiguïté » (T1374/07).

Listes convergentes

La situation est plus souple si nous sommes en présence de listes convergentes (T2237/10 contra T812/09).

Une liste non-convergente est une liste de type : « A ou préférentiellement B ou encore plus préférentiellement C« .

Toute sélection dans des listes d’alternatives convergentes n’est toutefois pas automatiquement conforme à l’A123(2) CBE. Selon la présente décision, deux conditions au moins sont nécessaires :

  • la combinaison ne doit pas être associée à une contribution technique non divulguée
  • la combinaison doit être supportée par un pointeur (exemples, modes de réalisation spécifiques…)

Combinaison de modes de réalisation

Le contenu d’une demande ne doit pas être considéré comme un réservoir dont on peut extraire des caractéristiques propres à des modes de réalisation distincts de la demande afin de les combiner de façon à créer de manière artificielle un mode de réalisation particulier (T 296/96, T 1206/07 ; T 1239/08 ; T 1648/11, T 1799/12, T 1853/13).

En l’absence de la moindre indication concernant la combinaison particulière concernée, la sélection correspondante de caractéristiques ne ressort pas clairement et sans ambiguïté, pour l’homme du métier, du contenu de la demande telle que déposée (T 686/99).

Combinaison de revendications

Nous pourrions nous dire que la combinaison de revendications ne viole par l’A123(2) CBE.

En réalité, cela n’est pas du tout évident (T389/13).

Le test à appliquer repose sur ce qui découlerait directement et sans ambiguïté pour l’homme du métier de la demande telle que déposée, ce qui implique d’analyser les différentes caractéristiques des revendications dépendantes visées et leurs relations, telles que divulguées dans la demande, soit explicitement, par exemple par un lien direct, comme une référence à d’autres revendications, soit implicitement, en analysant leur fonction et leurs interactions.

Généralisation intermédiaire

On appelle « généralisation intermédiaire » le fait d’extraire une caractéristique de la description en l’isolant de son contexte (ex. un mode de réalisation donné, Directives H-V 3.2.1).

Une telle généralisation est possible que si :

  • la caractéristique extraite n’est pas inextricablement liée aux autres caractéristiques de ce mode de réalisation (T714/00),
  • les caractéristiques non extraites de ce mode de réalisation satisfont le test d’essentialité évoqué ci-dessus,
  • la divulgation générale justifie l’isolement de la caractéristique extraite, conduisant à une généralisation, et son introduction dans la revendication.

Cela peut notamment arriver quand les caractéristiques omises ont leur propre fonction, et ce indépendamment du reste du système (T461/05).

Reformulation du problème technique

En théorie, l’A123(2) CBE n’est pas pertinent concernant la simple reformulation du problème technique (T654/89). Il devient pertinent si le demandeur veut ajouter ce problème technique reformulé dans la demande (Directives G-VII 11).

Une reformulation du problème technique est possible si l’homme du métier peut déduire le problème formulé de la demande telle que déposée et à la lumière de l’état de la technique le plus proche (T13/84 et Directives H-V 2.4).

Cas d’une divulgation d’intervalles

Mélange des bornes d’intervalles

Il peut arriver qu’une demande divulgue :

  • la présence d’un composé X dans une solution (i.e. supérieur à 0 %) ;
  • le fait que préférentiellement le composé X est compris entre 5 % et 20 % ;
  • le fait que encore plus préférentiellement le composé X est compris entre 8 % et 15 %.

La question qui se pose alors est de savoir si cela est contraire aux prescriptions de l’A123(2) CBE de revendiquer :

  • entre 5 % et 15 % ;
  • entre 0 % et 15 % ;
  • etc.

La réponse est « on peut » : de nombreuses décisions ont reconnu le droit au déposant de combiner des intervalles ensembles (T2/81, T1170/02).

Par contre il est interdit de combiner les deux limites basses des intervalles divulguées afin de créer un nouveau sous-intervalle (ex. ici, entre 5 % et 8 %) : le nouveau sous intervalle ne correspondant pas à une combinaison d’intervalles divulguées (T1170/02).

Utilisation d’une valeur particulière comme borne

Il peut arriver que l’on revendique une plage [1; 1000] et que la valeur de 200 soit donné comme un exemple.

La question qui se pose est de savoir si on peut revendiquer la plage [200;1000] ou [1; 200].

En l’occurrence, cela va dépendre de ce qui est indiqué dans la demande mais si la demande enseigne que toute amplitude peut être utilisé, l’homme du métier comprendrait que la valeur 200 peut servir de borne (T1556/16).

Exclusion d’une borne

Il peut également se poser la question de l’exclusion d’une borne.

En effet, si l’intervalle [0;15%] est décrit dans la demande, est-il possible de revendiquer « inférieur à 15 % » (i.e. strictement inférieur 15 %).

Il n’existe pas de réponse ferme dans tous les domaines techniques mais cela a été autorisé dans le domaine de la chimie (T83/13) : en effet, en chimie, l’homme du métier ne peut voir de différence entre une concentration de 15 % et une concentration de 14,9999 %. Dès lors, l’enseignement technique est le même.

Il convient toutefois de noter la décision T1990/10 qui va dans un sens opposé.

Ajout d’un état de la technique

La mention d’un état de la technique dans la description ne pose pas de problème d’extension au-delà du contenu tel que déposé (T11/82 et Directives F-II 4.3).

Un commentaire :

  1. Bonjour,
    Il me semble que les directives citées au paragraphe 3.1.3 ne sont pas les bonnes.
    Les directives correspondant aux caractéristiques implicites me semblent être les Directives G-VI.2 (version mars 2021). (A ce sujet on peut également citer la partie pertinente de la Jurisprudence des Chambre de recours I.C.4.3.)
    Bien cordialement,
    Romain.

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