Inventions déposées par une personne « non-habilitée »

Avant toute chose, il convient de déterminer la personne qui a effectivement le droit de déposer la demande de brevet : pour cela, je vous invite à consulter l’article « Les personnes pouvant déposer une demande ».

Comment faire reconnaitre le vol ?

Afin de savoir qui est habilité à déposer une demande de brevet, l’OEB est un peu frileux et n’ose pas se prononcer lui-même : ainsi, l’OEB demande à ce qu’une juridiction nationale compétente tranche cette question.

Les juridictions compétentes

Les juridictions nationales compétentes sont celles déterminées par le protocole sur la reconnaissance du 5 octobre 1973 (ou PR par la suite) (J6/03 citant G3/92), c’est-à-dire :

  • les juridictions de l’État contractant désignées par écrit par les parties (A5(1) PR). Cette situation n’est possible entre un employé et un employeur que si la loi nationale régissant le contrat de travail l’autorise (A5(2) PR),
  • à défaut, si l’invention est une invention de salarié (A4 PR) :
    • les juridictions de l’État contractant dans lequel l’employé exerce son activité principale, ou
    • si celui-ci ne peut être déterminé, les juridictions de l’État contractant dans lequel se trouve l’établissement de l’employeur (A60(1) CBE),
  • à défaut, les juridictions de l’État contractant dans lequel le titulaire a son domicile ou siège social (A2 PR),
  • à défaut, les juridictions de l’État contractant dans lequel la personne demandant le droit au brevet a son domicile ou son siège social (A3 PR),
  • à défaut, les juridictions de l’Allemagne (A6 PR).

La juridiction saisie doit vérifier si elle est effectivement compétente (A7 PR).

L’OEB n’a pas de pouvoir d’appréciation concernant ce sujet (A9.2 PR).

J’attire votre attention sur le fait que les juridictions compétentes ne peuvent être qu’une juridiction d’un État contractant : aucune juridiction américaine, chinoise, etc. ne peut être compétente.

Notez toutefois que si une telle juridiction rendait une décision, il serait possible de faire reconnaitre la décision par un tribunal d’un État membre par exequatur. Pour autant, la suspension de procédure de la R14 CBE (et décrit ci-dessous) ne sera pas possible.

Conditions pour exercer son droit auprès de l’OEB

Afin d’exercer son droit auprès de l’office européen, trois conditions doivent être remplies (R16(1) CBE) :

  • le brevet ne doit pas encore être délivré,
  • la décision de la juridiction compétente doit être passée en « force de chose jugée » depuis moins de 3 mois,
  • la décision doit être reconnue en vertu du protocole sur la reconnaissance (article 9 et 10) dans les pays désignés par la demande de brevet (en gros, il n’y a rien a faire, sauf certains cas particuliers).

Pour autant, si une demande n’est plus en instance (ex. rejet), il semble toujours possible de bénéficier de la possibilité de redéposer une demande de brevet (G3/92).

Suspension de la procédure de délivrance

Principe

Dès lors qu’un tribunal national d’un État contractant (J6/03) est saisi d’une demande pour faire reconnaitre que le titulaire d’une demande n’était pas habilité à la déposer, une suspension de la procédure peut être demandée auprès de l’office européen des brevets selon la R14(1) CBE.

L’OEB n’a pas à vérifier que le tribunal saisi est effectivement compétent (voir règles supra) pour trancher cette question (J10/02, J36/97, A9.2 PR).

Suspension d’office

La suspension est acquise d’office au jour où la preuve de l’action judiciaire est apportée (R14(1) CBE) et aucune décision n’est nécessaire (J28/94).

Si jamais le titulaire conteste cette suspension, la division juridique prendre alors une décision susceptible de recours (J28/94).

Objectif

L’objectif de cette suspension est de protéger les droits du véritable titulaire des droits et d’éviter que le demandeur ne saborde la demande en voyant que la propriété de celle-ci va lui échapper.

En particulier, la demande (ou une désignation d’un État contractant dans la demande) ne peut être retirée (R15 CBE).

Effet de la suspension

Principe

Lors de la suspension de la procédure, tous les délais sont suspendus (R14(1) CBE).

Néanmoins, il convient de continuer à payer les taxes annuelles (R14(4) CBE), sachant que n’importe qui peut les payer (Directives A-X 1).

Lors de la reprise, les délais (ayant été suspendus) reprennent, mais sans que ceux-ci ne puissent être inférieurs à 2 mois (R14(4) CBE, dernière phrase).

Exemple de calcul de délais

Principe

Il faut savoir que :

  • le nombre de jours restant à courir se calcule en jours puis mois car les Directives donnent des exemples de ce type (voir par exemple Directives D-VII 4.3)
  • le délai de reprise jusqu’à l’expiration se calcule également en jours puis mois.

Cela ne s’invente pas vraiment (surtout que dans les directives précédentes, il était indiqué que le calcul se faisait en jours-mois puis mois-jours…).

Cette méthode de calcul pose néanmoins un soucis si l’expiration du délai arrive un 31 juillet et que le délai était suspendu le 25 juin : nous n’avons que 30 jours au mois de juin et donc comment faut-il compter ? 5 jours + 1 mois + 1 jour ? Bref … si vous avez la réponse, n’hésitez pas !

Exemple 1

Supposons qu’une suspension de la procédure intervienne pendant le délai de 6 mois de la R70(1) CBE pour présenter la requête en examen.

Calcul d'une suspension pour un délai de 6 mois (A61 CBE)
Calcul d’une suspension pour un délai de 6 mois (A61 CBE)
Exemple 2

Supposons que la division d’opposition notifie le titulaire que son brevet est maintenu sous forme modifiée selon la R82(2) CBE : le titulaire a 3 mois pour fournir une traduction des revendications.

Calcul d'une suspension pour un délai de 3 mois (A61 CBE)
Calcul d’une suspension pour un délai de 3 mois (A61 CBE)

Instance compétente

C’est la division juridique qui vérifie que les conditions de la suspension sont bien réunies (Directives A-IV 2.2, « Décision du Président de l’Office européen des brevets, en date du 12 juillet 2007, relative à la compétence de la division juridique » , JO 2007, édition spéciale n° 3, G.1).

Décision de suspension

La décision de suspension est normalement accordée, mais cela n’est pas automatique.

Pour décider la suspension ou non, l’OEB doit vérifier si l’action respecte les trois points suivantes (J15/13) :

  • la personne qui a engagé l’action est celle qui a requis la suspension ;
  • l’action est engagée contre le demandeur du brevet ;
  • l’action est bien une action en revendication au sens de l’A61(1) CBE et si l’action n’est pas un abus évident :
    • l’OEB analysera alors l’intitulé de l’action, la nature de l’action.
    • Néanmoins, son bien fondé n’est pas analysé.
    • abus = si l’exercice des droits est principalement destiné à causer des dommages et que d’autres fins légitimes (ici la sauvegarde des intérêts du tiers) passent au second plan (J14/19).
    • L’abus doit être sans équivoque et nécessite un examen attentif et une pondération des circonstances individuelles. La charge de la preuve incombe à celui qui invoque l’abus.

Forme de la suspension

En soi, la division juridique ne prend pas de décision puisque la suspension est un fait dès lors que les conditions de la R14(1) CBE sont remplies. Si le demandeur, averti, conteste la suspension, alors seulement l’OEB prend une décision.

Cette décision est alors susceptible de recours et le tiers est partie au recours (J28/94).

Attention, car les Directives A-IV 2.2 considèrent que la suspension doit être prononcée dans une décision (intermédiaire susceptible de recours avec la décision finale).

Dates pertinentes

Date de la suspension

Le jour où le tiers apporte la preuve (R14(1) CBE) qu’il a introduit une procédure contre le demandeur pour faire reconnaitre son droit à l’invention, la procédure est suspendue.

La date de la suspension est inscrite au REB (R143(1) s) CBE).

Existence de la procédure visant à faire reconnaitre le droit au brevet

Concernant le moment à partir duquel la procédure existe réellement, il faut regarder le droit national régissant cette procédure (J7/00, J14/19).

Par exemple, selon les pays cela peut être :

  • le dépôt au greffe de l’acte introductif d’instance ;
  • la signification au demandeur de cet acte ;
  • etc.

Date à laquelle la suspension ne peut plus être demandée

La suspension peut être demandée tant qu’aucun brevet n’est délivré (R16(1) b) CBE).

Il faut comprendre que cette demande de suspension doit intervenir avant la publication de la mention de délivrance au bulletin (J7/96).

Par ailleurs, si une demande n’est plus en instance (ex. rejet), il semble toujours possible de bénéficier de la possibilité de redéposer une demande de brevet (G3/92) même si la suspension n’a plus de sens.

Limites de la suspension

Autorisé par le tiers

On ne voit trop pourquoi, mais le tiers peut consentir à la poursuite de la procédure (R14(1) CBE). Ce consentement est irrévocable.

Cela est relativement dangereux, car le demandeur pourrait retirer sa demande ou retirer certains pays désignés (la R15 CBE n’ayant plus d’effet).

Néanmoins, en cas de retrait, le tiers peut a priori déposer une nouvelle demande s’il obtient le droit au brevet ultérieurement (G3/92).

Taxe annuelle

Si la procédure de délivrance est suspendue, il ne faut pas oublier d’acquitter les taxes annuelles afin d’éviter la déchéance de la demande (R14(4) CBE).

N’importe qui peut payer ces taxes annuelles : ainsi, si le titulaire de la demande ne les paye pas, il est toujours possible pour la personne pensant être le véritable titulaire de les payer (Directives A-X 1).

Publication de la demande

De plus, et afin d’éviter que l’on puisse, malicieuse, cacher une demande durant plusieurs années en empêchant sa publication, la suspension de la procédure ne peut intervenir qu’après la publication de la demande (R14(1) CBE, dernière phrase).

Levée de manière discrétionnaire

Enfin, la suspension de la procédure peut être levée par l’office de manière discrétionnaire (R14(3) CBE), notamment si celui-ci considère que les procédures devant les juridictions nationales sont purement dilatoires (Directives A-IV 2.3 , J4/17) ou beaucoup trop longues (T24/13).

La date de reprise (en cas de levée de la suspension) peut être modifiée sur requête (T146/82).Attention

Même si le demandeur peut alors retirer sa demande ou retirer certains pays désignés (la R15 CBE n’ayant plus d’effet), cela n’empêchera pas le tiers de déposer une nouvelle demande s’il obtient le droit au brevet ultérieurement (G3/92).

Suspension de la procédure d’opposition

L’essentiel de ce qui a été dit précédemment s’applique.

Néanmoins, l’opposant ou l’intervenant ne peut pas requérir cette suspension : il faut bien qu’il s’agisse d’un tiers (R78(1) CBE).

Par ailleurs, cette suspension ne peut être décidée que si la division d’opposition considère l’opposition comme recevable (R78(1) CBE et Directives D-VII 4.1).

Exercer son droit suite à une reconnaissance

Dès lors que les trois conditions citées précédemment sont remplies, la personne ayant demandé que son droit au brevet soit reconnu peut (A61(1) CBE) :

Ce choix est ouvert pendant une période de 3 mois à compter de la décision définitive reconnaissant son droit au brevet (R16(1) a) CBE).

L’A121 CBE n’est pas applicable à ce délai, mais la restitutio in integrum (A122 CBE) est possible.

Dépôt d’une nouvelle demande

Dépôt

Le dépôt d’une nouvelle demande (A61(1) b) CBE) suit les règles d’un dépôt d’une demande standard (Directives A-IV 2.7), même si son dépôt ne peut se faire que devant l’OEB : en effet, la R15(3) CBE73 a été supprimée dans la CBE 2000.

Bien entendu, il sera nécessaire de payer les taxes de dépôt et de recherche sous 1 mois (R17(2) CBE, i.e. comme pour une demande « normale ») et de payer les taxes de désignation dans un délai de 6 mois à compter de la mention de la publication du rapport de recherche (R17(3) CBE, i.e. comme pour une demande « normale »).

L’A121 CBE est applicable à ces deux délais.

La requête en délivrance doit comporter le numéro de la demande initiale (R41(2) f) CBE).

Langue de la nouvelle demande

Comme pour les demandes divisionnaires, la langue de dépôt de la nouvelle demande doit être celle de dépôt de la demande initiale ou, au choix, la langue de la procédure de cette demande initiale (R36(2) CBE).

États désignés

Seuls les états désignés dans la demande initiale peuvent être valablement désignés dans la nouvelle demande (R16(2) CBE et G3/92).

Ancienne demande

Dans cette hypothèse, la demande existante est réputée retirée (R17(1) CBE) à compter du dépôt de la nouvelle demande.

Dans l’hypothèse où la demande existante n’est plus en instance (i.e. abandonnée, réputée retirée, etc.), il est toujours possible de déposer une nouvelle demande (même si cela peut paraître choquant pour les droits des tiers, G3/92). Aucune décision contraire n’est venue la contredire (Directives C-IX 2.2).

Bénéfice de la date de dépôt de l’ancienne demande

Par ailleurs, l’A61(1) CBE ensemble A76(1) CBE précise que la nouvelle demande bénéficiera de la date de dépôt de la demande existante, mais également que vous ne pourrez pas ajouter de matière par rapport à la demande existante (donc la description ne doit pas ajouter étendre le contenu de la demande au-delà de celui de la demande initiale).

Reprise de la demande existante

Dans cette hypothèse (A61(1) a) CBE), la personne ayant demandé que son droit au brevet soit reconnu reprend en quelque sorte l’historique de la demande à son compte. Il doit également le demander par écrit à l’OEB.

Dès lors, la procédure est reprise avec cette personne (et éventuellement avec les autres parties s’il existe, ceux-ci étant avertis R14(2) CBE, ex. opposants).

L’avantage de cette option est avant tout financier : les taxes déjà payées par l’ancien demandeur ne sont plus dues.

Cependant, afin de ne pas brusquer le nouveau titulaire (découvrant la demande et le dossier) :

  • l’office laisse s’écouler a minima un délai de 3 mois entre le passage « en force de chose jugée » de la décision du tribunal et la reprise de la procédure (R14(2) CBE, dernière phrase) ;
  • les délais (ayant été suspendus) reprennent, mais sans que ceux-ci ne puissent être inférieurs à 2 mois (R14(4) CBE, dernière phrase).

Rejet de la demande existante

Il n’y a pas grand-chose à dire : l’OEB rejettera la demande existante tout simplement (A61(1) c) CBE)…

Cas particulier en cas de transfert partiel de droit

Si une décision définitive a reconnu le droit au brevet à un tiers pour une partie seulement de la demande ce tiers ne pourra que déposer une nouvelle demande (R18(1) CBE i.e. le rejet et la reprise de la demande ne sont pas possible, Directives C-IX 2.3).

Il est également possible que la décision définitive ne reconnaisse le droit au brevet que pour certains états contractants (R18(2) CBE).

Cela peut arriver notamment si un contrat de codéveloppement prévoyait un tel droit.

Dans cette situation, le tiers peut :

  • soit déposer une nouvelle demande,
  • soit poursuivre avec la demande pour ces états (donc ce cas, il y aura une exception au principe d’unicité de l’A118 CBE : les descriptions et les dessins pourront être différents Directives C-IX 2.4 et Directives H-III 4.3.1).

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